Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/123

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cette dépendance mutuelle que nous concevons entre l’âme et le corps. C’est que l’une de ces substances dépend de l’autre idéalement, en tant que la raison de ce qui se fait dans l’une, peut être rendue par ce qui est dans l’autre ; ce qui a déjà eu lieu dans les décrets de Dieu, dès lors que Dieu a réglé par avance l’harmonie qu’il y aurait entre elles. Comme cet automate qui ferait les fonctions de valet dépendrait de moi idéalement, en vertu de la science de celui qui, prévoyant mes ordres futurs, l’aurait rendu capable de me servir à point nommé pour tout le lendemain. La connaissance de mes volontés futures aurait mu ce grand artisan, qui aurait formé ensuite l’automate : mon influence serait objective et la sienne physique. Car autant que l’âme a de la perfection et des pensées distinctes, Dieu a accommodé le corps à l’âme, et a fait par avance que le corps est poussé à exécuter ses ordres : et en tant que l’âme est imparfaite et que ses perceptions sont confuses, Dieu a accommodé l’âme au corps, en sorte que l’âme se laisse incliner par les passions qui naissent des représentations corporelles : ce qui fait le même effet, et la même apparence, que si l’un dépendait de l’autre immédiatement, et par le moyen d’une influence physique. Et c’est proprement par ses pensées confuses que l’àme représente les corps qui l’environnent. Et la même chose se doit entendre de tout ce que l’on conçoit des actions des substances simples les unes sur les autres. C’est que chacune est censée agir sur l’autre à mesure de sa perfection, quoique ce ne soit qu’idéalement et dans les raisons des choses, en ce que Dieu a réglé d’abord une substance sur l’autre, selon la perfection ou l’imperfection qu’il y a dans chacune : bien que l’action et la passion soient toujours mutuelles flans les créatures, parce qu’une partie des raisons qui servent à expliquer distinctement ce qui se fait, et qui ont servi à le faire exister, est dans l’une de ces substances, et une autre partie de ces raisons est dans l’autre, les perfections et les imperfections étant toujours mêlées et partagées. C’est ce qui nous fait attribuer l’action à l’une et la passion à l’autre.

67 Mais enfin, quelque dépendance qu’on conçoive dans les actions volontaires, et quand même il y aurait une nécessité absolue et mathématique (ce qui n’est pas) il nes’ensuivrait pas qu’il n’y aurait pas autant de liberté qu’il en faudrait pour rendre les récompenses et les peines justes et raisonnables. Il est vrai qu’on parle vulgairement comme si la nécessité de l’action faisait cesser tout mérite et tout démérite, tout droit de louer et de blâmer, de