Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

inclination, sans aucune contrainte, et sans aucun déplaisir. Et d’objecter que Dieu avait donc besoin des choses externes, ce n’est qu’un sophisme. Il les crée librement : mais s’étant proposé une fin, qui est d’exercer sa bonté, la sagesse l’a déterminé à choisir les moyens les plus propres à obtenir cette fin. Appeler cela besoin, c’est prendre le terme dans un sens non ordinaire qui le purge de toute imperfection, à peu près comme l’on fait quand on parle de la colère de Dieu. Sénèque dit quelque part que Dieu n’a commandé qu’une fois, mais qu’il obéit toujours, parce qu’il obéit aux lois qu’il a voulu se prescrire : semel jussit, semper paret. Mais il aurait mieux dit que Dieu commande toujours, et qu’il est toujours obéi ; car en voulant, il suit toujours le penchant de sa propre nature, et tout le reste des choses suit toujours sa volonté. Et comme cette volonté est toujours la même, on ne peut point dire qu’il n’obéit qu’à celle qu’il avait autrefois. Cependant, quoique sa volonté soit toujours immanquable, et aille toujours au meilleur, le mal, ou le moindre bien qu’il rebute, ne laisse pas d’être possible en soi ; autrement la nécessité du bien serait géométrique, pour dire ainsi, ou métaphysique, et tout à fait absolue ; la contingence des choses serait détruite, et il n’y aurait point de choix. Mais cette manière de nécessité, qui ne détruit point la possibilité du contraire, n’a ce nom que par analogie ; elle devient effective, non pas par la seule essence des choses, mais par ce qui est hors d’elles et au-dessus d’elles, savoir par la volonté de Dieu. Cette nécessité est appelée morale, parce que chez le sage, nécessaire et du sont des choses équivalentes ; et quand elle a toujours son effet, comme elle l’a véritablement dans le sage parfait, c’est-à- dire en Dieu, on peut dire que c’est une nécessité heureuse. Plus les créatures en approchent, plus elles approchent de la félicité parfaite. Aussi, cette manière de nécessité n’est elle pas celle qu’on tâche d’éviter, et qui détruit la moralité, les récompenses, les louanges. Car ce qu’elle porte n’arrive pas quoi qu’on fasse, et quoi qu’on veuille, mais parce qu’on le veut bien. Et une volonté à laquelle il est naturel de bien choisir, mérite le plus d’être louée : aussi porte-t-elle sa récompense avec elle, qui est le souverain bonheur. Et comme cette constitution de la nature divine donne une satisfaction entière à celui qui la possède, elle est aussi la meilleure et la plus souhaitable pour les créatures, qui dépendent toutes de Dieu. Si la volonté de Dieu n’avait point pour règle le principe du meilleur, elle irait au mal, ce qui serait le pis ; ou bien elle serait indifférente en quelque