Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/7

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se rapporte à Dieu qui est la suprême raison des choses, elle est fondée en connaissance. On ne saurait aimer Dieu sans en connaître les perfections, et cette connaissance renferme les principes de la véritable piété. Le but de la vraie religion doit être de les imprimer dans les âmes : mais je ne sais comment il est arrivé bien souvent que les hommes, que les docteurs de la religion se sont fort écartés de ce but. Contre l’intention de notre divin maître, la dévotion a été ramenée aux cérémonies, et la doctrine a été chargée de formules. Bien souvent ces cérémonies n’ont pas été bien propres à entretenir l’exercice de la vertu, et les formules quelquefois n’ont pas été bien lumineuses. Le croirait-on ? des chrétiens se sont imaginé de pouvoir être dévots sans aimer leur prochain, et pieux sans aimer Dieu ; ou bien on a cru de pouvoir aimer son prochain sans le servir, et de pouvoir aimer Dieu sans le connaître. Plusieurs siècles se sont écoulés sans que le public se soit bien aperçu de ce défaut ; et i] y a encore de grands restes du règne des ténèbres. On voit quelquefois des gens qui parlent fort de la piété, de la dévotion, de la religion, qui sont même occupés à les enseigner ; et on ne les trouve guère bien instruits sur les perfections divines. Ils conçoivent mal la bonté et la justice du souverain de l’univers ; ils se figurent un Dieu qui ne mérite point d’être imité ni d’être aimé. C’est ce qui m’a paru de dangereuse conséquence, puisqu’il importe extrêmement que la source même de la piété ne soit point infectée. Les anciennes erreurs de ceux qui ont accusé la divinité ou qui en ont fait un principe mauvais, ont été renouvelées quelquefois de nos jours : on a eu recours à la puissance irrésistible de Dieu, quand il s’agissait plutôt de faire voir sa bonté suprême ; et on a employé un pouvoir despotique, lorsqu’on devait concevoir une puissance réglée par la plus parfaite sagesse. J’ai remarqué que ces sentiments, capables de faire du tort, étaient appuyés particulièrement sur des notions embarrassées qu’on s’était formées touchant la liberté, la nécessité et le destin ; et j’ai pris la plume plus d’une fois dans les occasions, pour donner des éclaircissements sur ces matières importantes. Mais enfin j’ai été obligé de ramasser mes pensées sur tous ces sujets liés ensemble, et d’en faire part au public. C’est ce que j’ai entrepris dans les Essais que je donne ici, sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme, et l’origine du mal. Il y a deux labyrinthes fameux où notre raison s’égare bien souvent : l’un regarde la grande question du libre et du nécessaire, surtout