Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XV
NICOLAS MACHIAVEL.

en disant : Non, tu n’es pas Nicolas, tu es le Dazzo[1] puisqu’on t’a lié les jambes et les pieds. Tu es enchaîné comme un insensé. Je voulais donner des explications ; elle répliqua : Va rejoindre les bouffons avec ton histoire dans les poches. Magnifique Julien, au nom du Dieu tout-puissant, soyez garant que je ne suis pas le Dazzo[2]. »

On ne sait comment fut accueilli ce second sonnet, mais toujours est-il que le prisonnier ne tarda point à recouvrer sa liberté après une détention qui, du reste, n’avait guère duré plus de vingt jours. Il fut compris dans l’amnistie promulguée par Léon X à l’occasion de son avénement au pontificat, sous la réserve toutefois qu’il resterait exilé pendant un an aux environs de Florence.

Heureux d’être libre quand tant d’autres avaient été décapités, Machiavel courtisa ses nouveau maîtres et sollicita de nouveaux emplois ; mais en temps de révolution ceux qui distribuent les faveurs oublient moins vite que ceux qui les demandent, et les rares amis que Machiavel avait gardés malgré sa disgrâce ne lui prêtaient qu’un appui timide et réservé. L’un de ces amis, Vettori, lui conseillait d’attendre en cherchant à le consoler par des offres qui pouvaient lui plaire, mais non contenter ses espérances. « Nous verrons, lui disait Vettori, si nous pouvons ramer de manière à arriver quelque part ; si nos projets ne réussissent pas, nous ne manquerons pas de trouver une jeune fille, qui est près de ma maison, pour passer le temps avec elle ; cela me paraît le parti qu’il faut prendre, et bientôt nous saurons à quoi nous en tenir. » Machiavel fut attristé par cette lettre, et dans sa réponse il débute en citant des vers du Dante dont voici le sens : « Et moi qui m’étais aperçu de ce refroidissement, je dis comment viendra-t-il si tu hésites, toi qui es le consolateur de mon affliction ? » Cependant il sollicitait toujours, et cherchait à faire parvenir à la cour de Rome des plans politiques qui étaient toujours repoussés. Le découragement le gagnait. En 1514, il écrivait à Vettori :

« Je resterai donc au milieu de mes haillons sans trouver un

  1. C’était sans doute un fou ou un brigand célèbre à Florence.
  2. Artaud, Machiavel, t. 1, p. 224 et suiv. — Les deux sonnets que nous venons de citer ont été trouvés, il y a quelques années, écrits de la main même de l’auteur sur un livre qui lui avait appartenu.