une expérience de six mille ans, il n’a pas l’espérance que la race humaine change de nature. Il ne croit ni à la perfectibilité, ni à la dégradation croissante, mais il pense que les hommes ont été, sont et seront toujours les mêmes dans les mêmes circonstances. Il enseigne aux gouvernements à les employer tels que la nature les a faits[1]. »
Ici, comme dans le livre du Prince, on trouve encore plus d’une maxime que réprouvent la morale et la saine politique ; mais, en général, le sentiment égoïste du livre du Prince s’efface devant les notions de la justice universelle. L’auteur y trace également l’art de réussir, et cependant le but est beaucoup plus élevé, parce qu’en parlant à des peuples libres, ou du moins qui voudraient être tels, il leur enseigne plus particulièrement la politique du bon sens, au lieu de celle de la ruse dont il avait dévoilé tous les préceptes à l’usage des Borgia.
La puissance avec laquelle le secrétaire florentin s’empare des faits pour les analyser dans leurs moindres détails, ses vues profondes sur les secrets de la force ou de la faiblesse des gouvernements, donnent aux Discours sur les Décades un caractère politique qui est de toutes les époques et de tous les pays. Appliquées aux événements de l’histoire moderne, les décisions de Machiavel ont souvent un caractère frappant d’infaillibilité, et c’est là ce qui fait la force et la grandeur des Discours ; car, tout en y cherchant dans le passé les leçons de l’histoire, on y trouve réduites en formules, toujours saisissantes et précises, l’image du présent, l’expérience anticipée de l’avenir. Tout ce qui, depuis l’apparition des Décades, a été publié de plus profond sur la politique, est né des premières méditations de Machiavel, méditations qui forment les prolégomènes indispensables des écrits de ceux qui, comme Bossuet, Vico, Montesquieu, Herder, ont cherché à deviner l’énigme de la destinée des nations.
- ↑ Œuvres de F.B. Hoffman, 1834, in-8, Paris, t. V, p 240 et 241.