Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/152

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vient d’un ami, où l’on considère toujours plus l’intention de celui qui donne que la valeur du présent.

Et soyez convaincus que j’éprouve dans cette circonstance une véritable satisfaction, quand je songe que, me fussé-je trompé en beaucoup d’occasions, il en est cependant une dans laquelle je n’ai point commis d’erreur, c’est de vous avoir choisis entre tous pour vous adresser mes Discours. Car, en agissant de la sorte, je pense avoir montré quelque reconnaissance des bienfaits que j’ai reçus, et avoir abandonné le sentier vulgairement battu par ceux qui font métier d’écrire, et dont la coutume est de dédier leurs ouvrages à quelque prince auquel, dans l’aveuglement de leur ambition ou de leur avarice, et dans l’effusion de leurs louanges banales, ils prodiguent toutes les vertus, au lieu de le faire rougir de ses vices.

Pour ne point tomber dans cette erreur commune, j’ai fait choix, non d’un prince en effet, mais de ceux qui, par tant de belles qualités, mériteraient de l’être ; non de ceux qui pourraient me combler de titres, d’honneurs et de richesses, mais de ceux qui, n’ayant pas ces biens en leur pouvoir, ont du moins le désir de me les prodiguer. Car les hommes, pour porter un jugement sain, doivent savoir discerner ceux qui sont véritablement généreux de ceux qui n’ont que le pouvoir de l’être ; ceux qui sauraient gouverner, de ceux qui, sans en avoir la science, se trouvent cependant à la tête d’un empire.

Aussi les historiens font plus d’estime d’Hiéron, simple citoyen de Syracuse, que de Persée, roi de Macédoine ; car il ne manquait à Hiéron, pour être prince, que le pouvoir suprême ; Persée n’avait des qualités d’un roi que la royauté.

Jouissez donc du bien et du mal que vous avez cherchés vous-mêmes ; et si vous pouvez vous abuser au point de croire que mes recherches vous soient agréables, je m’efforcerai de poursuivre le reste de cette histoire, selon la promesse que je vous en ai faite en commençant. Valete.