Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/185

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salut de la ville, et sous le rapport des autres talents militaires, il ne se croyait en rien inférieur à son rival. Dévoré du poison de l’envie, irrité sans relâche par la gloire de Camille, et voyant qu’il ne pouvait semer la discorde parmi les sénateurs, il se jeta dans les bras du peuple, répandant parmi les citoyens les soupçons les plus odieux. Il disait entre autres que les trésors rassemblés pour assouvir l’avidité des Gaulois, trésors qu’on ne leur avait pas donnés, avaient été le partage de quelques citoyens ; que si on les reprenait pour les employer à l’utilité publique, on pourrait soulager le peuple d’une partie de ses tributs, ou les faire servir à acquitter quelques-unes de ses dettes.

Ces discours eurent assez d’influence sur le peuple pour l’exciter d’abord à se rassembler, et à commettre des désordres dans la ville. Le sénat, irrité, et croyant l’État en danger, créa un dictateur pour prendre connaissance de ces événements, et réprimer l’audace de Manlius. Le dictateur l’ayant fait citer devant lui, on les vit tous deux s’avancer sur la place publique, où ils se rencontrèrent, le dictateur entouré de toute la noblesse et Manlius au milieu du peuple. On somma Manlius de déclarer auprès de qui se trouvait le trésor dont il parlait, parce que le sénat était aussi jaloux de le savoir que le peuple. Manlius, sans rien dire de positif, répondit d’une manière évasive qu’il était inutile de leur apprendre ce qu’ils savaient tous aussi bien que lui : sur cette réponse, le dictateur le fit traîner sur-le-champ en prison.

Ce fait démontre clairement combien dans les villes qui vivent sous l’empire de la liberté, et même dans tous les gouvernements, on doit détester la calomnie, et combien il est urgent de ne négliger aucune institution capable de la réprimer. Mais il n’est pas de moyen plus propre à la détruire que d’ouvrir les voies les plus larges aux accusations : autant ces accusations sont propices