Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/188

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joindre une autre ; c’est qu’un État qui recouvre sa liberté se fait des ennemis qui sont gens de parti, tandis que ses amis ne le sont point. Il trouve pour ennemis tous ceux qui, à l’ombre du gouvernement tyrannique, se prévalaient de sa puissance pour se nourrir de la substance du prince, et qui, déchus des moyens d’en profiter, ne peuvent vivre tranquilles, et déploient tous leurs efforts pour ressaisir la tyrannie afin de la faire servir à recouvrer leur autorité. Les amis qu’il acquiert ne sont point gens de parti ; car sous un gouvernement libre on n’accorde des récompenses ou des honneurs que pour des actions bonnes et déterminées, hors desquelles personne n’a droit à être récompensé ou honoré ; et quand quelqu’un possède les honneurs ou les avantages qu’il croit avoir mérités, il ne pense point devoir de reconnaissance à ceux de qui il les a obtenus. D’un autre côté, cette utilité générale, qui appartient à une manière d’exister égale pour tous, ne se fait point sentir tant qu’on la possède ; elle consiste à pouvoir jouir librement et sans crainte de son bien, à ne trembler ni pour l’honneur de sa femme, ni pour celui de ses enfants, et à ne rien craindre pour soi : or personne n’avouera jamais qu’il ait des obligations à celui qui ne l’offense pas.

Ainsi, tout gouvernement libre et qui s’élève nouvellement a des gens de parti pour ennemis, tandis que ses amis ne le sont point. Pour remédier aux inconvénients et aux désordres que ces difficultés entraînent à leur suite, il n’y a pas de remède plus puissant, plus fort, plus sain, ni plus nécessaire, que de tuer les fils de Brutus, qui, ainsi que nous l’enseigne l’histoire, ne furent entraînés avec d’autres jeunes Romains à conspirer contre la patrie, que parce qu’ils ne pouvaient plus se prévaloir, sous les consuls comme sous les rois, d’un pouvoir illégitime. De manière que la liberté du peuple était pour eux comme une servitude.

Celui qui veut gouverner la multitude, sous une forme