Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/194

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que l’État soit promptement entraîne dans un abîme dont il ne pourrait sortir qu’à force de dangers et de sang répandu. En effet, la corruption et l’inaptitude à vivre libre proviennent de l’inégalité qui s’est introduite dans l’État ; et, pour détruire cette inégalité et y ramener tout au même niveau, il faut avoir recours à ces remèdes tout à fait extraordinaires que peu d’hommes savent ou veulent employer. C’est ce que nous dirons plus spécialement ailleurs.



CHAPITRE XVIII.


De quelle manière on peut maintenir dans une cité corrompue le gouvernement libre, lorsqu’elle en jouit déjà, ou l’y établir lorsqu’il n’existe point.


Je ne crois pas qu’il soit hors de propos, ni étranger à ce que j’ai avancé dans le chapitre précédent, d’examiner si l’on peut maintenir un gouvernement libre dans une cité corrompue où il existe déjà, ou si l’on peut l’y établir lorsqu’il n’y est point encore. L’une et l’autre entreprise présentent d’égales difficultés ; et quoiqu’il soit presque impossible de donner sur ce point des règles fixes, attendu la nécessité de procéder selon les différents degrés de corruption, néanmoins, comme il est bon de tout examiner, je ne veux pas laisser ce sujet en arrière.

Je supposerai d’abord une cité parvenue au dernier terme de la corruption, ce qui présente la question dans toute sa difficulté ; car là où le déréglement est universel, il n’y a ni lois, ni institutions assez puissantes pour le réprimer. En effet, si les bonnes mœurs ne peuvent se conserver sans l’appui des bonnes lois, de même l’observation des lois exige de bonnes mœurs.

De plus, les institutions et les lois établies à l’origine d’une république, et lorsque les citoyens étaient ver-