Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/205

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point, les premiers, vivre dans leur patrie, plutôt comme des Scipions, que comme des Césars ; et les derniers, plutôt comme les Agésilas, les Timoléon et les Dion, que comme les Nabis, les Phalaris et les Deitys : ils verraient les uns couverts de honte, et les autres éclatants de gloire ; ils verraient en outre que Timoléon et ses émules n’obtinrent pas dans leur patrie une moindre autorité que les Denys et les Phalaris, et qu’ils jouirent d’une sécurité bien plus grande.

Que personne ne se laisse éblouir par la gloire de César, et surtout par les louanges dont l’ont accablé les écrivains. Ceux qui l’ont célébré furent corrompus par sa fortune, ou effrayés par la durée d’un empire, qui, gouverné toujours sous l’influence de son nom, ne permettait pas aux écrivains de s’expliquer librement sur son compte. Mais qui voudra connaître ce qu’en auraient dit des écrivains libres, n’a qu’à voir ce qu’ils ont écrit de Catilina ; et César aurait encouru d’autant plus d’exécration, que celui qui commet le crime est plus coupable que celui qui le projette. Que l’on examine encore toutes les louanges prodiguées à Brutus, et l’on verra que ne pouvant flétrir le tyran à cause de sa puissance, on a exalté la gloire de son ennemi.

Que celui qui, dans une république, s’élève au rang suprême, considère, de son côté, de quelles louanges Rome, changée en empire, combla les empereurs qui, soumis aux lois, méritèrent le titre d’excellents princes, de préférence à ceux qui se conduisirent d’une manière opposée ; et il verra que Titus, Nerva, Trajan, Adrien, Antonin et Marc-Aurèle n’avaient besoin ni des soldats prétoriens, ni de la multitude des légions pour se défendre, parce que leur manière de vivre, l’affection du peuple et l’amour du sénat, étaient leur plus ferme rempart. Il verra encore que les forces de l’Orient et de l’Occident ne purent sauver les Caligula, les Néron, les Vitellius, et tant d’autres scélérats couronnés, de la ven-