Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/229

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les lenteurs de la guerre et les ennuis du siége. Ils poursuivirent donc leur entreprise avec plaisir, jusqu’au moment où Camille, nommé dictateur, s’empara de Véïes après un siége de dix années. Ainsi l’intervention de la religion, employée avec adresse, fut utile et pour conquérir cette ville et pour obliger à choisir les tribuns dans l’ordre de la noblesse. Sans ce moyen, ces deux événements auraient souffert sans doute de grandes difficultés.

Je ne veux pas laisser échapper un autre exemple.

Des désordres s’étaient élevés dans Rome à l’occasion du tribun Térentillus, qui voulait promulguer une loi dont nous dirons plus bas les motifs. Parmi les moyens que la noblesse employa contre lui, la religion fut un des plus puissants ; et elle s’en servit dans un double but. D’abord on consulta les livres sibyllins, auxquels on fit prédire que la ville était menacée cette année même de perdre sa liberté si l’on se livrait aux discordes civiles. Cette supercherie, quoique découverte par les tribuns, excita une si grande terreur parmi le peuple, qu’elle glaça soudain toute son ardeur à les suivre. L’autre avantage qu’ils en tirèrent est celui-ci. Un certain Appius Erdonius, suivi d’une foule de bannis et d’esclaves, au nombre de plus de quatre mille, s’était emparé de nuit du Capitole, en sorte que l’on pouvait craindre que si les Èques ou les Volsques, éternels ennemis du nom romain, étaient venus attaquer Rome, ils l’auraient emportée d’assaut ; et cependant les tribuns ne cessaient d’insister avec opiniâtreté sur la nécessité de promulguer la loi Térentilla, disant que ce danger dont on menaçait la ville n’avait pas le moindre fondement. Un certain Publius Rubétius, homme grave et considéré, sortit alors du sénat, et dans un discours moitié flatteur, moitié menaçant, il exposa les dangers qui environnaient la ville, montra au peuple combien sa demande était hors de saison et parvint à lui faire