Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/255

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autorité supérieure à la leur, on put supposer qu’elle ferait naître le mécontentement, et l’on décréta que l’élection serait faite par les consuls. On pensa que s’il arrivait quelque événement où Rome eût besoin de s’appuyer de ce pouvoir royal, ils y recourraient sans peine, et qu’ayant à nommer eux-mêmes le dictateur, ce privilége adoucirait leur regret. En effet, les blessures que l’homme se fait spontanément et de propos délibéré sont bien moins douloureuses que les maux qui lui viennent d’une main étrangère. Dans les derniers temps même, les Romains, au lieu de créer un dictateur, confièrent une autorité semblable au consul, en se servant de cette formule : Videat consul ne respublica quid detrimenti capiat.

Pour en revenir à mon sujet, je conclus que les peuples voisins de Rome, en cherchant à la soumettre, lui firent créer des institutions propres non-seulement à se défendre contre eux, mais à lui permettre de les attaquer à son tour avec des forces plus nombreuses, une plus grande puissance et des conseils mieux dirigés.



CHAPITRE XXXV.


Pourquoi la création du décemvirat fut nuisible dans Rome à la liberté de la république, quoique cette magistrature eut été établie par les suffrages libres du peuple.


Le choix de dix citoyens élus par le peuple romain pour donner des lois à Rome paraîtra contraire à ce que nous avons dit ci-dessus, que ce n’est que le pouvoir usurpé par la violence, et non celui que confèrent les suffrages de tout un peuple, qui peut nuire à un État. En effet, ces décemvirs devinrent bientôt des tyrans, et se jouèrent impudemment de la liberté. Sur cela, on doit faire attention à la manière de conférer l’autorité, et au temps pour lequel on l’accorde.