Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/324

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hommes se livrent à la haine : or ces deux sources si fécondes de haine sont taries à l’égard du passé ; car il n’y a plus rien à craindre des événements, et l’on n’a plus sujet de leur porter envie. Mais il n’en est pas ainsi des événements où l’on est soi-même acteur, ou qui se passent sous nos yeux : la connaissance parfaite que vous pouvez en avoir vous en découvre tous les ressorts ; il vous est facile alors de discerner le peu de bien qui s’y trouve de toutes les circonstances qui peuvent vous déplaire, et vous êtes forcés de les voir d’un œil moins favorable que le passé, quoique souvent en vérité le présent mérite bien davantage nos louanges et notre admiration. Je ne parle point des monuments des arts, qui portent leur évidence avec eux, et dont le temps lui-même ne saurait que bien peu augmenter ou diminuer le mérite ; mais je parle des mœurs et des usages des hommes, dont on ne voit point de témoignages aussi évidents.

Je répéterai donc que cette habitude de louer et de blâmer, dont j’ai déjà parlé, existe en effet ; mais il est vrai de convenir qu’elle ne nous trompe pas toujours. Nos jugements sont parfois dictés par l’évidence ; et comme les choses de ce monde sont toujours en mouvement, elles doivent tantôt s’élever, tantôt descendre.

On a vu, par exemple, une ville ou une province recevoir des mains d’un sage législateur l’ordre et la forme de la vie civile, et, appuyées sur la sagesse de leur fondateur, faire chaque jour des progrès vers un meilleur gouvernement. Celui qui naît alors dans ces États, et qui loue le passé aux dépens du présent, se trompe, et son erreur est produite par ce que j’ai déjà dit précédemment. Mais ceux qui voient le jour dans cette ville ou dans cette province, lorsque les temps de la décadence sont enfin arrivés, alors ceux-là ne se trompent pas.

En réfléchissant à la manière dont les événements se