Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faute que lorsque Rome, ayant subjugué tous les peuples qui se trouvaient placés entre elle et Carthage, commença à disputer la possession de la Sicile et de l’Espagne.

La même erreur aveugla les Gaulois, Philippe de Macédoine et le roi Antiochus : chacun d’eux s’imagina que, tandis que le peuple romain combattait contre ses voisins, la victoire pourrait l’abandonner, et qu’on serait toujours à temps d’échapper à sa puissance ou par la paix ou par la guerre ; de sorte que, dans ma conviction, le bonheur qu’ont eu les Romains dans ces circonstances serait le partage de tout prince qui se conduirait comme eux et saurait déployer le même courage.

Ce serait ici le lieu de montrer la conduite que tenaient les Romains lorsqu’ils pénétraient dans un pays ennemi, si je n’en avais parlé longuement dans mon Traité du prince, où j’ai approfondi cette matière. Je dirai seulement en peu de mots qu’ils cherchèrent toujours à avoir dans leurs nouvelles conquêtes quelque ami qui fût comme un degré ou une porte pour y parvenir ou y pénétrer, ou qui leur donnât le moyen de s’y maintenir. C’est ainsi qu’ils se servirent des habitants de Capoue pour entrer dans le Samnium ; des Camertins, dans la Toscane ; des Mamertins, dans la Sicile ; des Sagontins, dans l’Espagne ; de Massinissa, dans l’Afrique ; des Étoliens, dans la Grèce ; d’Eumène et de quelques autres princes, dans l’Asie ; des Marseillais et des Éduens, dans la Gaule. Ils ne manquèrent jamais d’appuis de cette espèce pour faciliter leurs entreprises, faire de nouvelles conquêtes, et consolider leur puissance. Les peuples qui observeront une conduite semblable auront moins besoin des faveurs de la fortune que ceux qui s’en écarteront.

Pour qu’on puisse mieux connaître combien le courage fut plus puissant dans Rome que la fortune pour conquérir un empire, je développerai dans le chapitre