Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/341

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la corruption de ses lois que le mélange de nouveaux habitants, dirigea toutes ses institutions de manière à empêcher les étrangers d’avoir aucune fréquentation avec les citoyens. Outre qu’il leur interdit les mariages, les droits de cité, et ces communications au moyen desquelles les hommes aiment à se rapprocher, il ordonna qu’on ne fit usage dans toute la république que d’une monnaie de cuir, afin d’ôter à qui que ce fût le désir de s’y rendre pour y apporter ses marchandises ou son industrie.

Or, comme toutes les actions des hommes ne sont que des imitations de la nature, il n’est ni possible ni naturel qu’une faible tige soutienne de vastes rameaux. Ainsi une république faible ne peut s’emparer d’une ville ni d’un État plus puissants ou plus étendus qu’elle ; et si la fortune les met entre ses mains, il lui arrive le même sort qu’à cet arbre dont les branches seraient plus fortes que le tronc, et qui, ne se soutenant qu’avec peine, serait renversé par le moindre souffle. C’est le destin que Sparte éprouva lorsque, ayant étendu sa domination sur toutes les villes de la Grèce, elle les vit toutes se soulever contre elle aussitôt que Thèbes se fut soustraite à son joug ; et le tronc resta seul, dépouillé de son branchage. Rome n’avait point à craindre un semblable malheur ; son tronc était assez robuste pour supporter sans peine les plus vastes rameaux.

Cette manière de procéder, jointe à celle dont nous aurons occasion de parler plus bas, fut la source de la grandeur et de la puissance inouïes des Romains. C’est ce que Tite-Live expose en peu de mots, lorsqu’il dit : Crescit interea Roma Albœ ruinis.