Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/366

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CHAPITRE XII.


S’il vaut mieux, lorsqu’on craint d’être attaqué, porter la guerre chez ton ennemi que d’attendre chez soi.


J’ai entendu quelquefois disputer des hommes assez habiles dans l’art de la guerre pour savoir si, lorsqu’il se trouve deux princes à peu près d’égale force, et que celui qui passe pour le plus puissant a déclaré la guerre à l’autre, le meilleur parti que ce dernier ait à prendre est d’attendre son ennemi dans l’intérieur de son pays, ou de le prévenir en allant l’attaquer jusque dans ses foyers. J’ai entendu de part et d’autre d’excellentes raisons.

Ceux qui soutenaient qu’il faut aller attaquer son ennemi alléguaient, pour preuve, le conseil que donna Crésus à Cyrus lorsque ce prince, parvenu sur les confins des Massagètes, auxquels il portait la guerre, reçut de Tomyris, leur reine, un envoyé qui lui dit qu’il eût à choisir l’un des deux partis suivants, ou de pénétrer dans son royaume, où elle saurait bien l’attendre, ou de l’attendre s’il préférait qu’elle vint elle-même le trouver. On délibéra sur cette proposition, et Crésus, contre l’opinion générale, conseilla d’aller chercher Tomyris, en disant que si elle était vaincue loin de son royaume, il ne pourrait s’en rendre maître, et qu’elle aurait le temps de réparer sa défaite ; mais que, s’il en triomphait au sein même de ses États, il pourrait la presser dans sa fuite, lui ôter tout moyen de se relever de sa chute, et s’emparer de son empire.

Ils allèguent encore le conseil qu’Annibal donna à Antiochus, lorsque ce roi conçut le dessein de faire la guerre aux Romains. Il lui démontra qu’on ne pouvait vaincre ces peuples qu’au sein même de l’Italie, parce