Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/368

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son fils Alphonse, il lui recommanda d’attendre son ennemi en deçà des frontières, et de ne porter pour rien au monde ses armées hors de son royaume, mais de réunir dans l’intérieur toutes les forces dont il pourrait disposer. Son fils ne suivit pas ces sages avis : il s’empressa d’envoyer une armée en Romagne, mais il perdit sans combattre et cette armée et son royaume.

Aux raisons avancées par chaque parti, on ajoute : que celui qui attaque marche avec plus d’assurance que celui qui attend ; ce qui fortifie la confiance du soldat : et qu’il prive en même temps son ennemi d’une foule de ressources dont celui-ci pourrait se prévaloir, puisqu’il l’empêche de se servir de ceux de ses sujets qui ont été ruinés par la guerre. Le prince dont les États sont ainsi envahis ne peut exiger avec la même rigueur l’argent et le concours de ses peuples ; et, comme dit Annibal, il voit tarir cette source qui lui permettait de soutenir le poids de la guerre. D’un autre côté, des soldats qui se trouvent au milieu d’un pays ennemi sentent davantage la nécessité de combattre ; et, comme nous l’avons dit plusieurs fois, la nécessité est la mère du courage.

De l’autre côté, on soutient qu’il est avantageux d’attendre l’ennemi, parce qu’on peut sans peine lui susciter de nombreux embarras pour les vivres, et tous les autres besoins d’une armée : la connaissance plus parfaite que l’on a du pays permet d’apporter des obstacles à ses desseins ; on peut lui opposer de plus grandes forces par la facilité qu’on a de les réunir, et de n’être point forcé de les envoyer au loin ; en cas de défaite, on répare plus aisément ses pertes, et parce que les fuyards, ayant des asiles à leur portée, ont moins de peine à se sauver, et parce que les renforts ont moins d’espace à parcourir ; de sorte que vous mettez toutes vos forces au hasard d’une bataille, mais non toute votre fortune ; au lieu qu’en portant la guerre loin de votre pays, vous risquez toute votre fortune et non toutes vos forces. On a vu