Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/381

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serrés ; elle laissait quelque intervalle entre eux, de manière à pouvoir recueillir sans désordre les troupes de la première division, si l’ennemi la contraignait à se replier ; la troisième brigade, celle des triaires, montrait ses rangs plus ouverts encore que la seconde, afin de pouvoir recevoir au besoin, dans l’intervalle, les corps des princes et des lanciers.

Ces trois divisions disposées dans cet ordre, on en venait aux mains : si les lanciers étaient rompus ou défaits, ils se retiraient dans l’intervalle des rangs des princes, et, réunis ensemble, les deux corps n’en faisaient plus qu’un seul qui recommençait le combat. S’ils étaient encore battus ou mis en déroute, ils se retiraient dans l’intervalle des rangs des triaires, et les trois brigades, réunies de nouveau en un seul corps, revenaient à la charge ; si la victoire leur échappait encore, comme elles n’avaient plus de moyen de reformer leurs rangs, elles perdaient alors la bataille. Comme toutes les fois qu’on avait recours au corps des triaires l’armée était dans le plus grand danger, on en vit naître le proverbe : Res reducta est ad triarios ; ce qui veut dire en notre langue : Nous en sommes réduits aux derniers expédients.

Les généraux de notre temps, en abandonnant les règles de l’art militaire, et en dédaignant d’observer l’antique discipline, ont également négligé ce système, qui est cependant de la plus grande importance. Celui qui fait ses dispositions de manière à pouvoir, dans le cours d’une action, se rallier jusqu’à trois fois, doit, pour perdre la bataille, essuyer trois fois les rigueurs de la fortune, ou rencontrer dans les rangs de l’ennemi une valeur capable de lui arracher trois fois la victoire. Mais quiconque n’est en état que de résister au premier choc, comme le sont aujourd’hui les armées chrétiennes, peut aisément être vaincu : le moindre désordre, le courage le plus médiocre suffisent pour lui ravir la victoire. Ce qui empêche nos armées de se rallier jusqu’à trois fois,