Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/402

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point ailleurs, il est impossible d’embrasser la même manière de vivre : il faut ou accroître ses forces en formant des alliances avec ses voisins, ou chercher à s’agrandir, comme Rome, par des conquêtes. Quiconque se gouverne autrement ne cherche point la vie, mais la ruine et la mort. En effet, les conquêtes sont dangereuses et de mille manières et par mille raisons : on peut fort bien étendre au loin sa domination sans accroître réellement ses forces ; et s’agrandir sans se fortifier, c’est réellement courir à sa perte.

Celui que la guerre appauvrit ne peut tirer des forces même de la victoire, surtout quand ses conquêtes lui coûtent plus qu’elles ne lui rapportent : Venise et Florence en sont les preuves. Ces deux républiques ont été réellement bien plus faibles quand l’une était maîtresse de la Lombardie, l’autre de la Toscane, que lorsque les Vénitiens se contentaient de leurs lagunes et les Florentins d’un territoire de six milles d’étendue. C’est au désir de s’agrandir et à la conduite imprudente tenue pour y parvenir, qu’il faut attribuer cet affaiblissement ; et le blâme qui doit en rejaillir sur ces peuples est d’autant plus grand, qu’ils ont moins d’excuses à présenter : ils avaient sous les yeux les principes des Romains, et rien ne les empêchait de les suivre ; tandis que les Romains n’avaient rien vu de semblable avant eux, et que c’est à leur propre sagesse qu’ils sont redevables de les avoir trouvés.

Souvent même les conquêtes sont une source abondante de dommages pour une république bien organisée : comme, par exemple, lorsqu’on s’empare d’une ville ou d’une province adonnée à toutes les voluptés, et où les vainqueurs sont exposés à adopter les mœurs des vaincus ; ainsi que l’éprouva Rome d’abord en s’emparant de Capoue, et par la suite Annibal. Si Capoue en effet avait été plus éloignée de Rome, et que la mollesse des soldats n’eût pas eu le remède à portée, ou si Rome