Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/432

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dès qu’ils seraient sur les terres de la république, on prendrait les armes en leur faveur ; mais, ayant pénétré dans la plaine, et voyant que personne ne venait à leur rencontre, et que, d’un autre côté, les vivres leur manquaient, ils cherchèrent à conclure un arrangement : le peuple florentin, rempli de jactance, rejeta leurs offres ; et ce refus lui fit perdre Prato et causa la ruine de l’État.

Ainsi donc, la plus grande erreur que puisse commettre un prince lorsqu’il est attaqué par un ennemi dont les forces sont de beaucoup supérieures aux siennes, est de refuser un accommodement, surtout lorsqu’il lui est offert ; car les conditions n’en seront jamais assez dures pour que celui qui les accepte n’y trouve quelque avantage, et qu’il ne puisse les regarder comme une sorte de victoire. Il devait suffire, en effet, aux habitants de Tyr qu’Alexandre acceptât les conditions qu’il avait d’abord refusées ; et c’était pour eux une assez grande victoire que d’avoir forcé, les armes à la main, un homme tel que lui à condescendre à leur volonté. Le peuple florentin devait également regarder comme un triomphe et se montrer satisfait, si les armées espagnoles consentaient à quelques-uns de ses désirs, sans accomplir de leur côté tous leurs projets ; car l’intention des Espagnols était de changer le gouvernement de Florence, de l’arracher à l’influence de la France, et d’en obtenir de l’argent. Quand de ces trois choses ils n’en eussent obtenu que deux, qui sont les deux dernières, et qu’il n’en fût resté qu’une au peuple, c’est-à-dire le maintien de son gouvernement, chacun y aurait trouvé quelque honneur et quelque satisfaction, le peuple ne devant guère s’inquiéter du reste tant qu’on laissait subsister l’État ; et quand même il aurait eu l’assurance d’une plus grande victoire, il était imprudent de vouloir s’exposer en quelque sorte aux caprices de la fortune, puisqu’il y allait de l’existence de la république, que jamais un homme