Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les croire. Veulent-ils devoir leur tranquillité à eux-mêmes, ils verront tout ce qui les entoure s’efforcer de la troubler.

Il convient donc, comme Brutus, de contrefaire l’insensé. Et n’est-ce point embrasser un semblable parti, que d’approuver, de dire, de voir et de faire une foule de choses contraires à votre pensée, et dans la seule vue de complaire à un prince ?

Puisque j’ai parlé de la prudence que montra ce grand homme pour rendre la liberté à sa patrie, je vais parler maintenant de la sévérité qu’il déploya pour la conserver.



CHAPITRE III.


Combien il est nécessaire, pour consolider une liberté qu’on vient d’acquérir, d’immoler les fils de Brutus.


La sévérité que déploya Brutus pour consolider dans Rome la liberté qu’il venait de lui acquérir ne fut pas moins utile que nécessaire. La mémoire des temps passés a conservé peu d’exemples d’un père siégeant comme juge dans son tribunal, et qui non-seulement condamne ses fils à mort, mais assiste encore à leur supplice.

Ceux qui auront fait une lecture attentive des événements de l’antiquité demeureront convaincus d’une vérité : c’est que, lorsqu’un État éprouve une révolution, soit qu’une république devienne tyrannie, soit qu’une tyrannie se change en république, il est nécessaire qu’un exemple terrible épouvante les ennemis du nouvel ordre de choses. Celui qui s’empare de la tyrannie et laisse vivre Brutus, celui qui fonde un État libre et n’immole pas les fils de Brutus, doit s’attendre à une chute prochaine.