Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/526

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n’ignorait pas que, s’il réussissait, il recouvrait toute la gloire qu’il avait perdue en Espagne ; tandis que, s’il eût échoué, et que son entreprise eût présenté un résultat contraire à celui dont il s’était flatté, il aurait montré du moins comment il aurait su se venger d’une ville et de citoyens qui l’avaient offensé avec si peu de ménagement et tant d’ingratitude.

Si le ressentiment d’une telle injure a eu tant de pouvoir sur un citoyen romain, et dans un temps où Rome n’était pas encore corrompue, combien ne doit-il pas aigrir plus profondément encore le citoyen d’une ville tout autre que ne l’était Rome à cette époque ! Comme on ne peut indiquer un remède certain à ces inconvénients, qui sont inhérents au gouvernement républicain, il en résulte l’impossibilité d’établir une république perpétuelle, parce que mille chemins divers la conduisent à sa ruine.



CHAPITRE XVIII.


Rien n’est plus digne d’un capitaine habile que de pressentir les desseins de l’ennemi.


Le Thébain Épaminondas disait que rien n’était plus nécessaire et plus avantageux à un général que de connaître les projets et les résolutions de l’ennemi. Comme il est difficile d’obtenir cette connaissance, celui-là mérite d’autant plus de louange qui fait si bien qu’il les devine. Quelquefois même il est plus facile de pénétrer les projets de l’ennemi, qu’il ne l’est de savoir ce qu’il fait ; et quelquefois aussi, de deviner les mouvements qu’il opère à de grandes distances, que ceux qu’il exécute inopinément et près de nous. Combien de fois, après une bataille que la nuit seule avait fait cesser, le vainqueur ne s’est-il pas cru vaincu, et le vaincu victorieux !