La manière d’agir de Valerius, au contraire, quoique ses résultats soient les mêmes relativement au bien de l’État, doit enfanter de nombreux soupçons, par la bienveillance particulière qu’elle fait naître dans le cœur du soldat, bienveillance capable, après un long commandement, de produire des résultats funestes à la liberté. Si la popularité de Valerius n’eut point de suite dangereuse, c’est que les mœurs de Rome n’étaient pas encore corrompues, et que le pouvoir qu’on lui confia ne fut ni perpétuel ni même de longue durée.
Mais s’il était question d’un prince, comme dans Xénophon, nous pencherions entièrement pour Valerius, et Manlius serait rejeté ; car, ce que doit surtout rechercher un prince dans ses sujets et ses soldats, c’est l’obéissance et l’amour. Il obtient l’obéissance, parce qu’il observe lui-même les lois et que l’on croit à ses vertus. Il doit leur amour à l’affabilité, à l’humanité, à la douceur, et à toutes ces qualités que l’on révérait dans Valerius, et qui, selon Xénophon, éclataient également dans Cyrus. L’affection particulière pour le prince, le dévouement de ses armées, sont parfaitement en harmonie avec toutes les autres institutions d’un gouvernement monarchique ; mais, lorsqu’un citoyen ne compte dans une armée que des partisans, il s’écarte en cela de ses autres devoirs, qui l’obligent à vivre sous l’empire seul des lois et à obéir à ses magistrats.
On lit dans les anciennes histoires de Venise que les galères de cette ville étant rentrées dans le port, il s’éleva quelques différends entre les matelots et le peuple ; on s’ameuta et l’on prit les armes ; le désordre était si grand que ni la force publique, ni le crédit des principaux citoyens, ni la crainte des magistrats, ne pouvaient parvenir à l’apaiser. Soudain se présente devant les matelots un gentilhomme qui, l’année précédente, avait été leur capitaine ; et, apaisés par l’affection qu’ils lui portaient, ils se retirèrent en abandonnant le combat. Cette