Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/556

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dans le faste ; et, contraints de se livrer à de nombreuses exactions, ils les multipliaient sous toutes les formes. Une de leurs pratiques les plus perfides consistait à faire des lois pour prohiber certaines actions ; ensuite ils étaient les premiers à fournir des facilités pour les enfreindre, et laissaient les coupables dans l’impunité, jusqu’à ce qu’ils eussent vu leur nombre se multiplier : alors ils prenaient le parti de venger l’outrage fait aux lois, non par zèle pour la justice, mais dans l’espoir d’assouvir leur cupidité en s’enrichissant par des amendes.

De là une foule de désordres : les peuples s’appauvrissaient sans se corriger, et ceux qui se trouvaient ainsi appauvris cherchaient à s’en dédommager aux dépens des peuples moins puissants qu’eux ; de là tous ces crimes dont nous avons parlé, et qu’on ne peut attribuer qu’à la conduite du prince.

Tite-Live vient à l’appui de cette opinion, lorsqu’il rapporte que les ambassadeurs romains chargés de porter les dépouilles des Véïens au temple d’Apollon furent pris par des corsaires de Lipari, en Sicile, et conduits dans ce port. Timasithée, qui gouvernait la ville, ayant appris la nature de ce don, le lieu de sa destination, et par qui il était envoyé, se conduisit, quoique né à Lipari, comme l’aurait pu faire un Romain : il représenta au peuple combien il serait impie de s’emparer de ce don sacré ; et il fit tant, que, d’un consentement unanime, on permit aux ambassadeurs de s’éloigner avec tout ce qui leur appartenait. Voici les paroles dont se sert l’historien : Timasitheus multitudinem religione implevit, quæ semper regenti est similis. Et Laurent de Médicis confirme cette maxime, lorsqu’il dit :


« E que che fa il signor fanno poi molti,
« Che nel signor son tutti gli occhi volti[1]. »


  1. « Les peuples ont toujours les yeux tournés vers ceux qui gouvernent, et leur exemple est une loi pour eux. »