Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
CHAPITRE VI.

casion d’attaquer, ils le font avec toute la chaleur de l’esprit de parti, et que les autres se défendent avec froideur, en sorte qu’il y a du danger à combattre avec eux.

Afin de bien raisonner sur ce sujet, il faut considérer si les innovateurs sont puissants par eux-mêmes, ou s’ils dépendent d’autrui, c’est-à-dire si, pour conduire leur entreprise, ils en sont réduits à prier, ou s’ils ont les moyens de contraindre.

Dans le premier cas, il leur arrive toujours malheur, et ils ne viennent à bout de rien ; mais dans le second, au contraire, c’est-à-dire quand ils ne dépendent que d’eux-mêmes, et qu’ils sont en état de forcer, ils courent bien rarement le risque de succomber. C’est pour cela qu’on a vu réussir tous les prophètes armés, et finir malheureusement ceux qui étaient désarmés. Sur quoi l’on doit ajouter que les peuples sont naturellement inconstants, et que, s’il est aisé de leur persuader quelque chose, il est difficile de les affermir dans cette persuasion : il faut donc que les choses soient disposées de manière que, lorsqu’ils ne croient plus, on puisse les faire croire par force.

Certainement Moïse, Cyrus, Thésée et Romulus n’auraient pu faire longtemps garder leurs institutions, s’ils avaient été désarmés ; et ils auraient eu le sort qu’a éprouvé de nos jours le frère Jérôme Savonarola, dont toutes les institutions périrent aussitôt que le grand nombre eut commencé de ne plus croire en lui, attendu qu’il n’avait pas le moyen d’affermir dans leur croyance ceux qui croyaient encore, ni de forcer les mécréants à croire.

Toutefois, répétons que les grands hommes tels que ceux dont il s’agit rencontrent d’extrêmes difficultés ; que tous les dangers sont sur leur route ; que c’est là qu’ils ont à les surmonter ; et que lorsqu’une fois ils ont traversé ces obstacles, qu’ils ont commencé à être