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CHAPITRE VII.

rent lieu dans l’Ionie et sur les bords de l’Hellespont, où Darius établit divers princes, afin qu’ils gouvernassent ces États pour sa sûreté et pour sa gloire. C’est encore ainsi que furent créés ceux des empereurs qui, du rang de simples citoyens, furent élevés à l’empire par la corruption des soldats. L’existence de tels princes dépend entièrement de deux choses très-incertaines, très-variables : de la volonté et de la fortune de ceux qui les ont créés ; et ils ne savent ni ne peuvent se maintenir dans leur élévation. Ils ne le savent, parce qu’à moins qu’un homme ne soit doué d’un grand esprit et d’une grande valeur, il est peu probable qu’ayant toujours vécu simple particulier, il sache commander ; ils ne le peuvent, parce qu’ils n’ont point de forces qui leur soient attachées et fidèles.

De plus, des États subitement formés sont comme toutes les choses qui, dans l’ordre de la nature, naissent et croissent trop promptement : ils ne peuvent avoir des racines assez profondes et des adhérences assez fortes pour que le premier orage ne les renverse point ; à moins, comme je viens de le dire, que ceux qui en sont devenus princes n’aient assez d’habileté pour savoir se préparer sur-le-champ à conserver ce que la fortune a mis dans leurs mains, et pour fonder, après l’élévation de leur puissance, les bases qui auraient dû être établies auparavant.

Relativement à ces deux manières de devenir prince, c’est-à-dire par habileté ou par fortune, je veux alléguer deux exemples qui vivent encore dans la mémoire des hommes de nos jours : ce sont ceux de Francesco Sforza et de César Borgia.

Francesco Sforza, par une grande valeur et par le seul emploi des moyens convenables, devint, de simple particulier, duc de Milan ; et ce qui lui avait coûté tant de travaux à acquérir, il eut peu de peine à le conserver.

Au contraire, César Borgia, vulgairement appelé le

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