Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/606

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Alexandre : pourvu que le but soit atteint, la vertu se manifeste, et les peuples ne manquent jamais de l’applaudir. En apparence, Machiavel semble croire à une sorte de morale naturelle : il célèbre l’héroïsme, il attaque le vice ; en réalité, ce sont là des phrases où il adopte les jugements les plus contradictoires de la foule qui se prosterne devant tous les succès en maudissant les échecs. Les mêmes hommes sont tour à tour blâmés ou loués par le secrétaire de Florence, parce que la vertu devient le vice, et le vice la vertu, selon le point de vue auquel on se place. Quelque part François Sforza est un indigne usurpateur ; ailleurs c’est un héros, suivant que Machiavel s’identifie avec l’intérêt de la république de Milan ou avec l’intérêt du condottiere. En un mot, Machiavel appelle vertu le triomphe de l’intelligence, quel qu’il soit. Ce triomphe le préoccupe si exclusivement, qu’il traite la morale et les intérêts secondaires comme des obstacles à supprimer. Faut-il commettre un grand crime, on n’ose point, on recule. Faut-il conquérir la gloire d’un grand sacrifice, on hésite et on échoue. Voilà la vice ; et c’est un vice pour Machiavel que les hommes ne soient ni entièrement bons, ni entièrement mauvais[1] ; car, entravés par de petits obstacles, ils manquent les plans que l’intelligence conçoit et peut réaliser avec une précision géométrique. C’est donc l’intelligence qui doit faire le droit et la loi, comme elle fait la religion, et ici encore elle n’est soumise qu’à la fatalité supérieure déterminée par la marche des sphères.



LA RÉVOLUTION FRANÇAISE,

d’après Machiavel.


A partir de 89, les principes s’emparent des événements, et on dirait que Machiavel dicte les paroles, même des hommes qui paraissent sur la scène de la révolution. Le peuple débute par la déclaration des droits de l’homme : le noble et le prêtre se croient plus que des hommes on dépossède donc la noblesse et le clergé. Le cri : Guerre aux châteaux, paix aux chaumières, retentit dans toute la France ; c’est la révolution qui colonise. Les hommes de Machiavel oublient plutôt la mort de leurs parents que la perte de leurs biens : donc les conspirations aristocratiques éclatent furieuses et indomptables. Le roi se résignera-t-il à ne plus être qu’un

  1. Disc. sur Tite-Lire l. I. 26, 27, 30.