Page:A la plus belle.djvu/162

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On nourrit l’espoir légitime que l’un des deux au moins sera disloqué ; peut-être tous les deux. Tirez la grenouille ! haïdur !

Un silence s’est fait, coupé par des clameurs brèves et pleines d’émotion.

Le pont fourmille. À chaque instant de nouveaux tourmenteurs viennent augmenter le nombre des bourreaux de Marcou et des bourreaux de Gabillou. Marcou est bleu ; Gabillou violet. Mais les héros qu’ils sont, leur bouche ue s’ouvre que pour crier

— D’autres ! d’autres ! Encore ! encore ! hue donc !

Et d’autres viennent, la queue s’allonge. On parlera de cette joute sous le chaume bien longtemps, et le pâtre, dans cinquante ans, ne connaîtra pas d’autre grenouille !

Mais la lutte ne finira pas de sitôt. Gabillou et Marcou se connaissent. Laissons leurs efforts se lasser, risquons une promenade au travers de la foule, et descendons sur la rive droite du Couesnon.

Il y avait en sortant du pont une grande vieille toile trouée, tendue entre deux mâts, représentant le mémorable enlèvement des Sabines. Un homme grave et fier, qui connaissait l’histoire ancienne imparfaitement, expliquait les détails de cette importante composition. Avant de l’écouter, souvenez-vous que nous sommes en Normandie.

— Ce qui prouve bien, disait-il, que les Bretons sont des Anglais manqués, c’est que leur premier roi, Merdoh[1] le Barbu, vint d’Angleterre sur des pataches, par Saint-Paul de Léon, port de mer. À bas les Bretons !

— À bas les Bretons répéta une portion de la foule.

— Pouille ! pouille ! cria le reste ! Un Breton pour trois Normands !

— Voilà ledit roi Merdoh à la tête de sa clique, reprenait l’homme fier en drapant ses guenilles pailletéees et en montrant Romulus, remarquez, si vous voulez, la barbe qui le fit surnommer le Barbu. Elle ressemble à une queue de vache noire. Ayant donc tué toutes les femmes du pays, jusqu’à la dernière,

  1. Conan Meriadech, fondateur de la monarchie bretonne.