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A LA PLUS BELLE

Et je pense que j’étais complice du hasard qui m’égarait dans les rues. Je fuyais d’instinct la maison où il n’était plus.

Oh ! notre mère en larmes, mes sœurs pâles et les pauvres enfants habillés de deuil ! Dans le salon, quand on me vit, ce fut un grand gémissement.

Auguste, notre pauvre ami ! notre frère bien-aimé ! l’honneur et le joie de la famille !… Ma mère m’embrassa et me montra le Ciel.

Sur les bords de la Rance, la rivière enchantée, nous allions tous deux bien souvent. C’était un marcheur intrépide. Il aimait la grande route, et je ne le vis jamais si heureux que les matinées de voyage, quand nous tournions le dos à Saint-Malo, ce lourd paquet de maisons marchandes où manquent l’eau douce et l’air libre.

La Rance et les grèves du mont Saint-Michel, la route de Châteauneuf et la digue de Dol, c’étaient ses amours. Quand il était là, tête nue, les souliers poudreux, la sueur au front, il revivait. Sa gaîté revenait toute jeune.

Ces pages, inspirées par les lieux qu’il aimait : les belles rives de la Rance, le splendide horizon des grèves ; ces pages où passeront les impressions qui nous étaient communes, sont à lui plus qu’à moi.

C’est pour cela que son nom chéri est tombé malgré moi de ma plume sur la première de ces pages.

La rivière de Rance à sa source vers le bourg de Saint-Jacut-en-Terre, dans les Côtes-du-Nord. Au-dessus de Dinan, ce n’est guère qu’un ruisseau. Au-dessous du Dinan, elle s’élargit brusquement. À la plaine de Saint-Suliac, elle devient si grande, que la Loire et la Seine passeraient ensemble dans son lit sans trop se coudoyer.

Il est vrai de dire que la plaine de Saint-Suliac est déjà plutôt une grève qu’une rivière, car la marée s’y fait sentir comme en rade.

À mer haute, c’est un beau lac entouré de collines harmonieuses, et dont les vagues viennent baigner les baies blanches du rivage. Du côté de l’Ille-et-Vilaine, la rive s’encaisse et se