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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

d’un teint couleur de sépia foncée, avec de longs cheveux tressés et oints de beurre frais, qui dégouttaient sur ses épaules.

Mon drogman reparut, ahuri et tout meurtri.

— Quels sauvages ça fait ! s’écria-t-il en s’affaissant sur ses talons.

Il se mit à philosopher sur les coups imprévus de la fortune, et il m’apprit que les Gojamites surtout, croyant aux maléfices du mauvais œil, la femme, en me soustrayant aux regards, invectivait ses compatriotes, dont l’intense curiosité pouvait, d’après leur croyance, me devenir fatale.

— Par la mort de Guoscho ! vos yeux maudits me transperceront avant de le voir, criait-elle, à ce qu’il paraît.

Une compagnie de rondeliers me conduisit au camp, sous une grande tente qu’on referma soigneusement. Le maître de la tente, l’Azzage Fanta, espèce de Biarque ou Premier Intendant, me dit qu’il était heureux de me céder la place d’après l’ordre du Prince ; que ma porte serait gardée, et qu’il me laissait son page favori, pour veiller à tout ce que je pourrais désirer.

Des pages vinrent me saluer de la part du Dedjazmatch et m’offrir deux cornes d’une dimension extraordinaire, l’une pleine de vin, l’autre d’eau-de-vie. Un pareil début promettait, car, en Éthiopie, le vin est apprécié et fort rare. La vigne y vient très-bien, mais l’insécurité du pays détourne de sa culture ; les passants la grapilleraient avant même la maturité ; de plus, les propriétaires seraient l’objet d’exactions ruineuses. À Karoda, district du Bégamdir, ainsi que près d’Aksoum, on voit des champs de vignes plantées, dit-on, par les Portugais, il y a environ trois siècles ; leur culture eût été abandonnée, si les princes, qui tien-