Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

tout on s’entre-détruit ; et ils se félicitaient de ce que leur nation n’ayant pas fait de la guerre, comme les nations européennes, un métier et une science, cela ne donnait point lieu chez eux à cette distinction, qui existe chez nous, entre les initiés au métier des armes et les profanes. Chaque citoyen étant soldat reste investi du soin de sa propre défense, comme de celui de concourir à la défense de ses frères, et cette double investiture, unissant intimement la vie civile et la vie militaire, épargne au soldat comme au citoyen l’humiliation de son insuffisance, et renforce par l’idée d’une valeur double, l’idée morale que les Éthiopiens se font de cette double face de la vie de l’homme. Ils ajoutaient que malheureusement ils pratiquaient l’éviration sur le champ de bataille ; mais que nous autres, en Europe, nous pratiquions une éviration morale plus désastreuse encore, en dégradant le citoyen dont nous faisons un soldat irresponsable, et en dégradant le soldat auquel nous enlevons sa qualité de citoyen. Ils avaient de la peine à comprendre qu’il pût exister simultanément chez nous un code de lois militaire et un code de lois civil.

— Dieu a donné même aux animaux, disaient-ils, les organes nécessaires pour se procurer leur subsistance, comme aussi pour la défendre ; ces deux actes sont aussi légitimes et naturels l’un que l’autre. Pourquoi couper aux uns dents et griffes et les laisser pousser aux autres ? C’est dangereux pour un pays. Votre mode de lever les armées peut avoir du bon ; mais nos compatriotes ne l’accepteraient pas. Du reste, il faut croire que le monde entier marche à sa perte, car nous sommes en train de vous imiter avec nos bandes de wottoadders, gens sans feu ni lieu, qui ont aban-