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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

deux fois cette même route sans rencontrer d’obstacle, nous décidâmes de détruire nos bagages. Mon frère se réserva quelques instruments d’astronomie, et nous commençâmes à tout jeter dans les grands feux allumés pour cuire le pain de nos gens. Mais paysans, soldats, porteurs, tous se précipitèrent, arrachèrent nos bagages du feu et dispersèrent les tisons et la braise. Un des porteurs me dit ensuite :

— Pourquoi en user ainsi ? Ces valeurs que vous cherchez à détruire ne sont-elles pas votre seule ressource dans un pays étranger ? Dieu confie les richesses à l’homme pour les utiliser et non pour les anéantir sans profit pour personne. Ne craignez-vous pas qu’il ne vous punisse d’abuser ainsi de ses dons ? Les contrariétés sont éphémères ; quelque occurrence peut vous rouvrir le chemin d’Adwa ; vous regretteriez alors d’avoir obéi à votre impatience, et nous, qui mangeons votre pain, nous regretterions de vous avoir laissés faire.

Malgré ces sages conseils, nous persistâmes dans notre dessein. Donnant aux esprits le temps de se calmer, nous fîmes entasser nos bagages dans notre tente, comme par mesure d’ordre, et j’allumai une mèche communiquant à une caisse de poudre ; mais Domingo, que j’avais chargé de voir si personne n’approchait, attira l’attention par sa frayeur ; on se rua sur la tente : en un tour de main elle fut déplantée, enlevée comme par un coup de vent, et les effets furent dispersés. Je compris enfin que je jouais le rôle d’un enfant gâté qui, pour se venger de parents trop indulgents, alarme leur sollicitude en tournant sa colère contre lui-même.

Au bout de quelques jours, la plupart de nos porteurs, considérant l’expédition comme infructueuse, désertèrent les uns après les autres. Ces porteurs sont