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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

sert de modèle à tous. Un seigneur, d’importance même médiocre, nomme son sénéchal, ses prévôts, ses gardes, un biarque, un panetier, un boutillier, un écuyer, des chalakas et des pages ; il établit enfin une hiérarchie en disproportion ridicule souvent avec sa position ; ses inférieurs en font autant, et il n’est pas jusqu’au cultivateur aisé qui n’institue chez lui quelques offices et grades analogues. Les Éthiopiens en rient souvent eux-mêmes. Tout cet appareil a du moins l’avantage de leur inculquer des habitudes d’obéissance et de commandement, de devoir et de respect, et de les familiariser avec le sentiment de la responsabilité. Aussi voit-on fréquemment parmi eux des hommes, élevés rapidement des derniers aux premiers rangs, apporter dans l’exercice de l’autorité une tolérance intelligente, un tact et une aisance qui leur fait revêtir le pouvoir sans les éblouissements qui trop souvent l’accompagnent.

Toutes ces fonctions et attributions, réglées et absolues en apparence, sont d’une élasticité qui permet à l’individu de conférer sa valeur au rang qu’il occupe. Dans ce pays, les rapports sociaux sont fondés sur les hommes bien plus que sur les choses et les idées abstraites, et ils se plient sans effort à l’inégalité de l’espèce humaine et aux variétés de l’individu. Lorsque je cherchais à faire comprendre aux Éthiopiens le régime immuable de nos codes : « Loin de nous, disaient-ils, un pareil régime ! On y doit vivre à l’étroit comme dans vos vêtements. À vos lois et à votre costume, nous préférons nos coutumes et le vêtement ample et peu adhérent que forme notre toge. »

On peut se faire une idée, d’après l’ordonnance de la maison de ceux qui ont le pouvoir en mains, de quelle façon le pays doit être gouverné. Les abus y