sidérer avec une aversion manifeste, je sortis pour le mettre à son aise et aussi pour revoir mes amis. La boue étant intolérable, j’allai m’asseoir sur mes bagages. De mes cinq soldats, trois ayant été heureux à la bataille, il fallut écouter successivement leurs thèmes de guerre. Ils me dirent qu’ils avaient fait merveille et qu’ils accompliraient des prodiges à la première occasion. Il est d’usage qu’à tous les degrés de la hiérarchie, un lige fasse hommage à son seigneur de ses succès militaires. J’eus ainsi la gloire de confirmer mes trois hommes dans la possession de quelques loques, boucliers, sabres et javelines pris à l’ennemi. Sur leur ordre, les prisonniers qu’ils avaient faits s’inclinèrent en grelottant, et selon l’usage je dis : « Aïzo » aux uns et aux autres. Ce mot dont l’emploi est multiple, signifiait pour les prisonniers qu’ils étaient désormais en sûreté, et pour leurs loquaces capteurs que je les encourageais à continuer leurs prouesses. Il fallut ensuite écouter thème de guerre sur thème de guerre, que des clients, des amis ou ceux qui cherchaient à le devenir venaient débiter devant moi, en me faisant aussi hommage de leurs succès : démarche regardée comme un honneur rendu à celui qu’on traite ainsi à l’égal de son propre Seigneur. Un de mes hommes prétendait avoir pris à l’aile gauche trois fusiliers, mais Ymer-Sahalou les lui avait enlevés, disait-il. De pareils faits se présentent fréquemment : les armes à feu prises à l’ennemi revenant de droit au Prince, les chefs surtout mettent de l’émulation à lui en rapporter le plus possible. J’allai donc à la recherche d’Ymer. Il était, lui aussi, assis sur des paquets, en plein air, se réjouissant au milieu de son monde ; il avait fait à lui seul plus de deux cents prisonniers. Je
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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE