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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

ruption : des cavaliers revenaient par petites troupes de la poursuite des fuyards : on les bernait au passage ; le Lidj Mokouannen fut ramené vers le milieu de la nuit. Ceux qui avaient perdu leur servante, leur femme, leur cheval ou leur âne, circulaient en proclamant leur signalement et terminaient leur criée par une malédiction pour ceux qui, pouvant donner des renseignements, ne les donneraient pas. Ces appels provoquaient des facéties et brocards.

L’un entonnait un chant militaire, un autre le parodiait. Ici, deux amis simulant une querelle se galvaudaient au milieu des rires ; là, quelque boute-entrain, recourant à cette source éternelle de comédie, improvisait un oariste où il donnait le beau rôle au mari. Les femmes réclamaient de tous côtés, les hommes soutenaient leur champion, des bordées de paroles s’ensuivaient, et, soit dit à l’honneur des Éthiopiennes, les servantes même les mieux languées se taisaient confuses devant la faconde de leurs adversaires. Les redoublements de la pluie formaient comme les intermèdes de ces saynètes conduites avec une verve grossière parfois et parfois aussi du meilleur comique. Tant est que cette nuit incommode, mais doublée d’une victoire, passa légèrement sur nous ; seulement, de loin en loin, on entendait les sinistres ricanements des hyènes qui se repaissaient sur le champ de bataille.

Le soleil se leva sans nuage ; on se réchauffa, on se détendit un peu, et chacun fit l’inventaire de ses comestibles ; la plupart les partagèrent avec leurs prisonniers. Les pâtureurs, munis de leur lopin de nourriture, nous débarrassèrent de tous les animaux ; les bûcherons et les coupeurs d’herbe partirent dans toutes les directions ; les hommes de corvée allèrent à la recherche des matériaux pour les huttes, et bientôt elles s’é-