Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
525
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

barquer pour Djeddah, d’où notre consul le rapatrierait.

Je regrettai d’avoir à me séparer de ce fidèle compatriote, quoique ses services en Éthiopie m’eussent été plus embarrassants qu’utiles. J’avais acquis suffisamment l’expérience des voyages en Afrique, pour savoir qu’il vaut mieux, sous tous les rapports, n’avoir pour serviteurs que des indigènes. Parmi mes suivants, il s’en trouvait quelques-uns dont le dévouement et la fidélité n’eussent pu être dépassés par des compagnons d’enfance, et je m’étais déjà aperçu que mes égards pour Jean leur causaient de la jalousie ; il leur semblait que j’avais moins confiance en eux. D’ailleurs, dans les parties de l’Orient où les Européens n’ont point pénétré, la domesticité existe avec des caractères qui diffèrent essentiellement de ceux qu’elle a dans nos sociétés civilisées. Quelles que soient les garanties qui entourent la condition de domestique en Europe, elle est plus servile qu’en Orient, où elle est regardée comme un prolongement de la famille. En Éthiopie surtout, le contrat entre maître et dépendant est un contrat implicite de foi et de confiance mutuelles : les droits et les devoirs réciproques n’y sont point définis. La sujétion de l’homme à l’homme y étant regardée comme d’ordre naturel et nécessaire, elle s’opère presque toujours sans stipulations, soit de services à rendre, soit de rémunération, et l’absence même de contrat fait naître des obligations qui semblent lier d’autant plus qu’elles relèvent surtout de la conscience libre. Il semblerait que les stipulations rigoureuses, en énumérant les intérêts contradictoires, en les mettant en présence et, en les armant les uns contre les autres, invitent trop souvent à la défiance, aux rivalités et aux luttes. De la façon si différente de la nôtre dont les Éthio-