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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

l’Albanie, sa patrie, pour s’attacher à Méhémet-Ali, lorsque ce grand homme n’était encore que chef d’une bande d’Arnautes, il l’avait fidèlement suivi à travers toutes les péripéties de son orageuse carrière ; aussi, connaissait-il parfaitement les événements de cette époque tourmentée. Méhémet-Ali, devenu vice-roi d’Égypte, l’avait enrichit d’un seul coup et mis à même de recruter à son tour une bande de plus de deux mille Arnautes. Mais l’Aga, s’étant ruiné en prodigalités, passa avec le grade de lieutenant-colonel dans l’armée régulière, et le vice-roi, d’une bonté inépuisable pour ses anciens serviteurs, l’avait fait depuis quelques années gouverneur de Moussawa, poste modeste en apparence, dont les bénéfices étaient tels cependant que même en restant assez honnête homme, Aïdine en tirait environ 80,000 francs par an.

Des nombreux musulmans avec lesquels je me suis lié, Aïdine a été, avec le saïd Mohammed, celui qui s’est le plus dépouillé de ces préjugés invétérés que ses coreligionnaires dissimulent quelquefois avec adresse, mais ne cessent d’entretenir contre tout chrétien. Une circonstance particulière m’avait valu son intimité :

À mon passage à Adwa, lorsque j’allai à la rencontre de mon frère, un botaniste allemand arrivant de Moussawa me conseilla de ne goûter à quoi que ce fût chez Aïdine Aga, qui venait d’essayer, croyait-il, de l’empoisonner, afin de n’avoir point à lui rembourser un mandat de 200 talari. Il ne devait la vie, ajoutait-il, qu’à des contre-poisons actifs pris sur le champ ; et après trois semaines de souffrances, il venait d’adresser au consul général d’Autriche au Caire une plainte en forme.

Je n’attachai que peu d’importance à cet avis.