Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/577

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
569
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

il m’entretenait de toutes ses affaires, et, chose plus extraordinaire, il me parlait même de son harem. Le Saïd attendait mon départ pour fixer le sien ; Aïdine allait donc rester seul à lutter contre les découragements de sa maladie. Il nous parla de l’isolement où nous le laissions, mais il nous en parla comme d’un inconvénient plutôt que comme d’un regret, et il reçut mes adieux avec une dureté stoïque ; il était connu cependant pour être d’une sensibilité rare chez les hommes de son âge et de sa profession. Depuis le Gojam jusqu’à la mer Rouge, je me suis séparé de plus d’un chrétien que j’aimais, et si j’ai senti qu’en les quittant, je leur laissais une partie de mon être, j’ai cru parfois que j’emportais une partie du leur. C’est que la religion chrétienne en préconisant l’amour pour ses semblables, porte à vivre hors de soi-même et convie aux épanchements et aux enthousiasmes du cœur ; tandis que la religion musulmane, plus personnelle et plus dure, concentre l’homme en lui-même, lui commande la commisération sans doute, mais l’isole dans ses œuvres comme dans ses espérances.