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DOUZE ANS DE SÉJOUR

à l’étude des hommes, il ne doit point perdre de vue que pour en être accueilli, il doit se les concilier ; qu’à cette fin il faut qu’il soit animé pour eux de sentiments bienveillants, je dirai presque fraternels ; et ces sentiments se décèlent bien moins par la parole que par une disposition intérieure. Car la parole est impersonnelle ; chaque homme lui communique quelque chose de lui-même et la frappe pour ainsi dire à son coin, au moyen de manifestations qui se dégagent de lui à son insu et révèlent le mieux ce qui s’agite dans son être. Il y a aussi certaines façons, certaines contenances qui ont leur importance que le tact indique, et qui sont comme des concessions que l’on doit au milieu que l’on traverse. Quand on s’est trouvé seul et inconnu au milieu de gens de race, d’habitudes, de mœurs et de langue étrangères, on apprend, comme les dompteurs d’animaux, à éviter ou à assumer certains airs, certaines allures, certains gestes même, qui, indifférents en apparence, n’en ont pas moins une portée sérieuse ; tant il faut peu de chose quelquefois pour indisposer ou capter son semblable ! À Toudjourrah, j’eus à mettre en usage tous mes instincts et toute mon expérience, car nous avions débarqué malgré les indigènes, et aux nombreuses considérations qui dans leur esprit militaient contre nous s’ajoutait encore leur fanatisme musulman. En passant mes journées à leur faire des visites, je parvins à les habituer insensiblement à mon voisinage : j’étais à demi-rompu aux usages africains, et, au bout de quelques semaines, je m’étais concilié plusieurs familles où l’on m’attendait pour verser le café du matin ou du soir.

Je me mis au courant de l’opinion publique et des