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DOUZE ANS DE SÉJOUR

Nous avions, mon frère, son secrétaire et moi, l’habitude de nous promener chaque soir dans un endroit fréquenté aux alentours de Toudjourrah. Depuis deux ou trois jours, une indisposition retenant mes compagnons chez eux, j’allais seul faire ma promenade habituelle. Un soir, au détour d’un sentier, je vis, accroupis sous des arbres, trois bédouins à qui je donnai le salut d’usage. J’eus à peine fait quelques pas qu’une grosse pierre lancée par derrière vint effleurer mon turban et s’enterrer dans le sable devant moi. En me retournant, je me trouvai face à face avec mes adversaires ; l’un d’eux mis hors de combat, les deux autres disparurent derrière les ruines d’une mosquée. Une petite fille, revenant de la fontaine, avait tout vu, et, courant vers les premières maisons, elle avait poussé le cri d’alarme ; ce qui avait déterminé la fuite de mes agresseurs. Des habitants sortirent en armes ; nous retournâmes au lieu de la scène, mais le bédouin tombé avait disparu. Mes amis s’émurent beaucoup de cette tentative. Saber jeta feu et flamme contre le Sultan et son parti, qui attireraient, disait-il, sur son pays, la vengeance des Français, et, à son défaut, une punition divine. À quelques jours de là et en plein midi, le secrétaire de mon frère fut insulté et attaqué à coups de pierre par des enfants et quelques jeunes hommes.

Durant mon hivernage à Gondar, j’avais eu avec Sahala Sillassé des relations de sa part très-bienveillantes. Nous avions échangé des cadeaux, il m’avait pressé de me rendre auprès de lui, et je ne doutais pas que, s’il apprenait que j’étais à Toudjourrah, il ne me fît ouvrir une route, malgré les résistances du Sultan, car, à cause de leur commerce avec le Chawa, tous les habitants de Toudjourrah dépendaient de lui.