Page:Abel Sibrès - Maud.djvu/29

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sa maîtresse, elle avait été saisie et entraînée dans la demi-obscurité par deux individus dont l’un, tout en marchant, appuyait sur sa bouche un mouchoir qui sentait « une odeur de pharmacie ».

Puis la jeune fille ne savait plus.

Elle s’était retrouvée dans une chaise longue, à côté de laquelle était assise une jeune fille à peu près de son âge, qui lui souriait gentiment, et à laquelle elle demanda aussitôt des explications. Mais cette jeune fille secoua la tête en répondant :

No Speak french… je ne parle pas le français…

Durant son séjour en Pensylvanie, Louise s’était un peu familiarisée avec la langue anglaise. Elle interrogea donc sa compagne en cette langue, mais à toutes ses interrogations l’autre avait répondu :

I do not know. Je ne sais pas…

Elle avait fini par ajouter :

You are prisoner. Vous êtes prisonnière,

Après quoi, elle s’était renfermée dans un mutisme absolu.

Elle ne semblait d’ailleurs pas méchante. Sa consigne devait être de se taire, et de ne pas laisser sortir la prisonnière du petit appartement de deux pièces communiquant entre elles où Louise s’était retrouvée, et dont les fenêtres et les persiennes métalliques restaient toujours closes, de sorte que l’électricité devait constamment rester allumée, et que Louise ne pouvait savoir s’il faisait jour ou nuit.

Pour le reste, la jeune fille était très bien nourrie, rien ne lui manquait ; et tout le temps qu’elle fut captive de cette étrange prison, elle ne vit personne autre que sa muette compagne, jusqu’au soir où elle se retrouva sans savoir comment dans une auto fermée qui roulait dans la nuit à vite allure.

Au bout d’un temps qu’il lui fut impossible de fixer, l’auto s’arrêta. Puis la portière s’ouvrit, une silhouette masculine apparut dans l’encadrement, et une voix brutale l’invita à descendre, ce qu’elle fit.

Et comme elle restait là, étourdie et frissonnante sous l’air froid de la nuit, la même voix avait ajouté :

— Il paraît qu’on s’a gouré, et que ce n’était pas à vous qu’on en voulait. Mais n’ayez pas la langue trop longue, sans quoi il vous en cuirait. Vous entendez, la môme ?

Puis, l’auto avait disparu dans l’obscurité, et Louise s’était retrouvée seule sur la route, à proximité d’une localité qu’un peu plus tard elle devait savoir être Fontenay-aux-Roses.


Qu’est-ce que cette histoire de brigands ? ne put s’empêcher de dire Norberat lorsque Simpson eut terminé son récit, ou plus exactement le récit que Louise avait fait à sa maîtresse le matin même, au Terminus.

De fait, l’histoire apparaissait un peu invraisemblable. Elle était trop simple, et manquait plutôt de détails ; et, perplexe, Aramond lui-même ne pouvait s’empêcher de songer à ces fictions du même genre que reproduisent de temps en temps les journaux, et imaginées par des simulatrices pour masquer quelque fugue.

Pourtant, en l’ingénieur, quelque chose d’instinctif protestait contre l’hypothèse d’une simulation équivoque de la part de Louise,