Page:Abel Sibrès - Maud.djvu/55

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Or, quinze jours après la mort de son mari, Sturner se présentait chez elle, à Springfield, où elle venait de revenir.

Comme à sa vue elle était devenue pâle et tremblante, il sourit, d’un sourire où il y avait on ne savait quelle amertume mélancolique et hautaine :

— Lorsque j’ai appris votre mariage, Maud, ma première pensée a été d’aller vous tuer. Mais, depuis, j’ai compris qu’en somme il n’y avait rien de votre faute dans ce qui est arrivé. Peut-on, en effet, vous reprocher de n’être qu’une femme, une pauvre femme comme les autres ? Maintenant, c’est fini, j’ai cessé de souffrir. Je ne vous aime plus, Maud. Du moins comme autrefois. Mais nous pouvons rester amis. Amis ou alliés. Je suis venu parce que j’ai besoin de vous, Maud…

Il la regardait, calme et froid ; et, déjà, de sentir peser sur elle son regard de maître, comme autrefois elle subissait l’emprise de cette volonté dominatrice.

C’est alors qu’il lui avait parlé de sa ressemblance véritablement extraordinaire avec Miss Strawford, puis proposé de se substituer à celle-ci, dans le but de s’emparer de sa fortune.


Pour décider Maud à devenir sa complice, Sturner avait fait miroiter à ses yeux l’appât de la richesse, et lui avait promis la moitié de la fortune de Miss Strawford. En d’autres termes, Sturner se contenterait d’encaisser pour sa part un million de dollars, laissant le reste à la disposition de la fausse Miss Strawford.

L’opération ne présenterait aucun risque pour la jeune femme. Tout était prévu. Maud serait mise à même de copier exactement la personnalité de son sosie, non seulement en public, mais encore dans l’intimité. Son rôle lui serait d’ailleurs singulièrement facilité du fait que l’amie intime de Miss Strawford était complice, et resterait près de Maud pour la conseiller et la guider en cas de besoin. D’autre part, Maud connaissait le français, et il lui suffirait de le pratiquer pendant quelque temps pour le parler aussi correctement que Miss Strawford.

Pour plus de sécurité, la substitution devrait s’opérer loin de Pittsburg, c’est-à-dire loin des témoins familiers de l’existence de Miss Strawford, au cours d’un voyage auquel Miss Ligget déciderait son amie.

Comme familiers, il ne resterait près de Mary que la fidèle Louise, la professeur Degenève et enfin Harry Simpson.

Or, il serait facile d’écarter Louise, dont le clairvoyant attachement était à redouter.

Pour le professeur, une fois à Paris, il réintégrerait certainement son home, et d’ailleurs le manque de perspicacité de ce médiocre observateur en faisait un personnage peu à craindre.

Mais réussirait-on à donner aussi facilement le change à un fiancé aussi épris que l’était Simpson ?

Là était la seule difficulté sérieuse de l’opération, difficulté qui nécessita une préparation préalable.

On imagina, en effet, de provoquer une modification artificielle dans le caractère et la façon d’être de Mary, afin que celle-ci apparût changée à tous les yeux, mais surtout à ceux de son fiancé, bien avant le voyage