Page:Abel Sibrès - Maud.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Bonsoir, Maud… dit-il en anglais. Il y a longtemps que je n’ai plaisir de vous voir.

C’était, en effet, la première fois que tous deux se rencontraient depuis leur débarquement au Havre.

— Je n’ai, du reste, que des compliments à vous adresser, reprit-il Vous avez parfaitement joué votre rôle. Tout au plus pourrait-on vous reprocher d’avoir un peu trop ouvertement manifesté votre sympathie à certain docteur de ma connaissance, et d’avoir voulu laisser tomber un peu trop tôt ce pauvre Simpson. Mais, en somme, jusqu’à présent, tout a marché pour le mieux, puisque d’ici quelques jours je serai à même d’encaisser le million de dollars qui me revient. Vous recevrez sous peu les instructions relatives aux opérations bancaires qu’il sera nécessaire d’effectuer pour masquer l’abandon d’une pareille somme. Ces opérations effectuées, votre existence cessera d’être contrôlée par nous, et vous redeviendrez libre d’agir en tout comme vous l’entendrez, sous réserve, bien entendu, de continuer à garder le secret le plus absolu sur ce qui s’est passé. Toutefois, auparavant, je désirerais savoir si vous vous sentez à présent tout à fait dans votre rôle.

— Mais je crois que oui… répondit Maud. Pourquoi ?

— Parce que cet animal de Fredo a commis aujourd’hui un impair qui risque de nous amener des ennuis, et dans tous les cas va nous obliger à précipiter les choses. Bref, il est probable que d’ici une huitaine votre sosie aura cessé d’exister.

— Comment ?… balbutia la jeune femme saisie, et qui devint toute pâle.

— Ainsi que je viens de vous le dire, aucune surprise n’est plus à craindre au sujet de l’important déplacement de fonds que vous savez. Par la suite, il ne s’agira plus que d’opérations normales, et vous aurez eu le temps d’arriver peu à peu à imiter d’une manière satisfaisante l’écriture de votre sosie. Nous n’avons donc plus besoin de Miss Strawford, dont, dès lors, la disparition devient nécessaire pour liquider définitivement la situation. Nécessaire et urgente, étant donné ce qui s’est passé aujourd’hui… ajouta froidement Sturner.

— Réellement, elle va mourir ? balbutia encore Maud.

— D’ici une dizaine de jours. Cela vous impressionne, Maud ? demanda Sturner avec une sorte de froide sollicitude.

— Mon Dieu … Mon Dieu !… balbutia pour toute réponse la jeune femme bouleversée.

— La chose vous impressionne réellement à ce point ? répéta Sturner. Il est vrai que vous êtes presque encore une enfant, et, qu’au fond, vous êtes restée imbue de ces préjugés enfantins à l’aide desquels on a réussi jusqu’ici à domestiquer moralement l’humanité. Si vous aviez mon expérience, Maud, vous seriez moins sensible. Dans le cas qui nous occuper il ne s’agit que de la disparition d’un obstacle. Miss Strawford me gêne : je la supprime. Voilà tout.

Comme elle ne répondait pas, Sturner se tourna vers Miss Liggel, qui avait jusque-là assisté silencieuse à l’entretien :

— Et vous, Miss, la mort de votre amie vous impressionnera-t-elle ?

Edith haussa les épaules. Et froidement :

— Vous savez bien que je la hais…