Page:Abel Sibrès - Maud.djvu/64

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n’aurait jamais cru à tant de cynisme de la part de Sturner, ni à tant de férocité de la part d’Edith. Elle les regardait tour à tour, tous deux suprêmement élégants en leur incontestable beauté physique, et il lui semblait se trouver en présence de deux monstres.

Mais ce qui la bouleversait surtout, c’était la pensée que Miss Strawford n’avait plus à présent que quelques jours à vivre. Inopinément, l’instant était donc venu de cette échéance redoutable que jusque-là elle s’efforçait de croire éloignée, et qui allait faire d’elle une criminelle au même titre que ses complices ?

Et lorsque Miss Srawford aurait succombé, comment Maud oserait-elle se représenter devant Aramond et ses amis — devant Raibaud surtout ? Et de toutes façons, qu’adviendrait-il d’elle ? Car le crime délierait l’ingénieur de sa promesse, Aramond la dénoncerait, elle et ses complices ; elle serait perdue.


Cependant Sturner se tournait vers elle :

— Pour en revenir à ma question de tout à l’heure, Maud, j’ai pensé qu’il pouvait y avoir utilité pour vous à observer et à étudier Miss Strawford sur le vif, pourrait-on dire, et avant sa disparition, afin d’arriver à copier sa personnalité aussi exactement que possible. Il m’a été donné plusieurs fois de vous voir en public. Or, vos manières, et notamment votre démarche, ne sont pas encore tout à fait les mêmes que celles de la véritable Miss Strawford. Tant que vous resterez à Paris, où nul ne vous connaît, la chose n’aura qu’une importance relative. Mais, tôt ou tard, il faudra bien que vous retourniez à Pittsburg, et là vous devrez vivre avec des gens qui connaissent Miss Strawford depuis son enfance et dont il suffirait de peu de chose pour éveiller les soupçons. Voilà pourquoi je crois que vous devriez prendre le temps d’aller observer sur place la façon d’être de votre sosie avant que celle-ci ne fût alitée.

Et comme la jeune femme ne répondait pas tout de suite :

— Je ne vous en fais d’ailleurs pas une obligation, reprit son ancien fiancé, et c’est dans votre seul intérêt que je parle ; car mon but personnel sera prochainement atteint, et quoi qu’il pût advenir par la suite, je n’aurai pour ma part plus rien à redouter.

Maud restait indécise et troublée, car elle sentait combien il lui serait pénible de se trouver devant l’innocente créature qui allait devenir sa victime et dont la vue ne pourrait qu’accroître ses remords.

Puis soudain elle songea que si elle acceptait elle serait certainement conduite près de la véritable Mary et qu’il y aurait là une occasion inespérée de connaître l’endroit où celle-ci était retenue prisonnière. Et comme, d’autre part, de l’aveu de Sturner lui-même, Miss Strawford ne devait succomber que dans une huitaine de jours, une fois sa prison connue, peut être aurait-on le temps d’aviser utilement aux moyens de l’arracher au sort qui l’attendait.

— Allons, décidez-vous, Maud… disait cependant Sturner avec un comencement d’impatience. Oui ou non, désirez-vous aller là-bas ? Je vous préviens qu’il s’agit d’un voyage en auto de plusieurs heures et qu’il vous faudrait partir tout de suite, en compagnie de Miss Ligget, naturellement et aussi de Fredo, qui doit immédiatement rejoindre son poste.