Page:Abel Sibrès - Maud.djvu/73

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et sur le pont qui, à quelque distance enjambait le Mouzon, un train passa et disparut bientôt, en laissant derrière lui de gros flocons de vapeur traînante.

Alors, quittant la fenêtre, Maud fit sa toilette, se coiffa, se vêtit. Et lorsque Miss Ligget remonta, elle la trouva assise près de la cheminée, en train de tisonner pensivement le feu mourant.

— Si j’avais su vous trouver levée, dit Edith, je serais montée plus tôt. Vous dormiez si bien tout à l’heure que je n’ai pas voulu vous éveiller… crut-elle devoir ajouter.

— Quelle heure est-il ? s’informa Maud.

— Près de 11 heures. Le déjeuner doit être prêt. Je vais aller le chercher et nous mangerons ensemble, comme convenu. Puis, vous attendrez. Tout à l’heure, Miss Strawford sortira avec sa gardienne pour faire dans le jardin sa promenade quotidienne. Vous pourrez la voir et l’observer à loisir de cette fenêtre, sans vous montrer, naturellement, par un interstice ménagé entre les rideaux.

— Et ensuite ?

— Vous devrez rester ici, ma pauvre chère, à vous morfondre. Mais je vous tiendrai un peu compagnie, et puis on vous donnera des livres. La nuit venue, Fredo vous mettra à même d’observer de nouveau Miss Strawford, mais cette fois chez elle, dans l’intimité.

— Après ? demanda encore Maud.

— Après, dîner et départ.

— À quelle heure, le départ ?

— Entre 9 et 10 heures du soir.

Intérieurement, Maud calcula qu’en mettant les choses au mieux, l’on ne serait pas de retour à Paris avant 4 heures du matin. Courir immédiatement — si elle le pouvait — rue Portalis, mettre les trois amis au courant, fréter une auto, tout cela demanderait bien une heure. Un minimum de six heures de trajet. Lorsqu’on arriverait, il y aurait trois ou quatre heures que Miss Strawford aurait absorbé la tasse de chocolat transformée, suivant l’expression de Fredo, en bouillon de culture…

S’adresser en arrivant à la police parisienne, qui mettrait à son tour téléphoniquement au courant la police de l’endroit ? Cette intervention risquerait, elle aussi, d’être tardive. Et, par ailleurs, il était impossible de prévoir ce qu’il adviendrait de Miss Strawford entre le moment où la police se présenterait à la porte de la propriété, et celui où il lui serait possible d’y pénétrer.


Les deux jeunes femmes déjeunèrent donc dans leur chambre.

Ce fut Edith qui se chargea du service, assez fatigant, en somme, car elle dut descendre et remonter plusieurs fois, chargée de victuailles ou de vaisselle. Du reste, la belle Américaine semblait de bonne humeur et prenait la chose gaiement.

Tout en mangeant, et sans prononcer le nom de Mouzonville, ni même celui de Mon-Espoir, elle expliqua que toutes deux étaient censées être les cousines de Fredo, habitant Paris, et venues passer plusieurs jours à la campagne.

Je m’appelle Elisabeth, et vous Pauline. Malheureusement, vous vous