Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II. Je rends grâce à Dieu, qui inspire à vos cœurs tant de sollicitude pour mes cruelles et incessantes épreuves, et qui vous fait participer à mon affliction. Faites, par l’assistance de vos prières, que la miséricorde divine me protège et écrase bientôt Satan sous nos pieds. À cet effet, j’ai hâte de vous envoyer le Psautier que vous me demandez avec tant d’instance, ô sœur jadis si chère dans le siècle, mais bien plus chère aujourd’hui en Jésus-Christ : qu’il vous serve à offrir au Seigneur un perpétuel holocauste de prières, pour expier nos grands et si nombreux péchés, pour conjurer les périls dont je suis journellement menacé !

Quel mérite ont auprès de Dieu et des saints les prières de ses fidèles, surtout les prières des femmes, pour ceux qui leur sont chers, et des épouses pour leurs époux : les témoignages et les exemples qui le prouvent se présentent en foule à ma mémoire. C’est dans la conviction de cette efficacité que l’Apôtre nous recommande de prier sans cesse. Nous lisons que le Seigneur dit à Moïse : « Laisse-moi, afin que ma fureur s’embrase ; » et à Jérémie : « Cesse d’intercéder pour ce peuple et ne me fais point obstacle. » Par ces paroles, le Seigneur déclare lui-même manifestement que les prières des saints mettent, pour ainsi dire, à sa colère un frein qui l’enchaîne, et l’empêche de sévir contre les coupables dans la mesure de leurs fautes. La justice le conduit naturellement à la répression ; mais les supplications des fidèles fléchissent son cœur, et lui faisant, en quelque sorte, violence, l’arrêtent malgré lui. Il sera dit, en effet, à celui qui prie ou qui priera : « Laisse-moi et ne me fais point obstacle. » Le Seigneur ordonne de ne pas prier pour les impies. Le juste prie malgré la défense du Seigneur, et il obtient de lui ce qu’il demande, et il change la sentence du juge irrité. Car il est ajouté, à propos de Moïse : « Et le Seigneur apaisé suspendit la punition qu’il voulait infliger à son peuple. »

Il est écrit ailleurs, touchant la création du monde : « Il dit, et le monde fut. » Mais ici on rapporte qu’il avait dit le châtiment que son peuple avait mérité, et, arrêté par la vertu de la prière, il n’accomplit pas ce qu’il avait dit. Voyez donc quelle est la vertu de la prière, si nous prions dans le sens qui nous est prescrit, puisque ce que le Seigneur avait défendu au prophète de lui demander par sa prière, sa prière l’obtint et le détourna de ce qu’il avait prononcé. Un autre prophète lui dit encore : « Et lorsque vous serez irrité, Seigneur, souvenez-vous de votre miséricorde ! »

Qu’ils écoutent, qu’ils s’instruisent les grands de la terre qui poursuivent avec plus d’obstination que de justice les infractions faites à leurs arrêts, qui craindraient d’être taxés de faiblesse s’ils étaient miséricordieux, et de mensonge, s’ils changeaient quelque chose à une décision, ou s’ils n’exécutaient pas une mesure imprévoyante, bien que les faits en vinssent modifier les termes : insensés, et bien dignes, en vérité, d’être comparés à Jephté qui, après avoir fait un vœu inspiré par la folie, l’exécuta plus follement encore et sacrifia sa fille unique.