à l’esprit, un tel langage sur les lèvres ? Que jamais Dieu n’oublie ses humbles servantes au point de les faire survivre à votre perte ! Que jamais il ne nous laisse une vie qui serait plus insupportable que tous les genres de mort ! C’est à vous qu’il appartient de célébrer nos obsèques, de recommander nos âmes à Dieu et de lui envoyer avant vous celles dont vous avez fait son troupeau, afin que vous n’ayez plus sur elles aucun sujet de trouble et d’inquiétude, et que vous nous suiviez avec d’autant plus de joie que vous serez plus rassuré sur notre salut.
Épargnez-nous, je vous en supplie, ô notre maître, épargnez-nous de telles paroles qui mettent le comble au malheur de femmes déjà si malheureuses ; ne nous enlevez pas, avant la mort, ce qui fait toute notre vie. À chaque jour suffit son mal, et ce jour fatal, tout enveloppé d’amertume, apportera assez de douleur à celle qu’il trouvera de ce monde. « À quoi bon, dit Sénèque, aller au-devant des maux et perdre la vie avant la mort ? »
II. Vous demandez, ô mon bien suprême, si quelque accident met fin à votre vie loin de nous, vous demandez que nous fassions transporter votre corps à notre cimetière, afin que l’incessante présence de votre souvenir vous assure un plus riche trésor de prières. Pensez-vous donc que votre souvenir puisse jamais nous quitter ? Sera-ce d’ailleurs le moment de prier, lorsque le bouleversement de notre âme nous aura ravi tout repos ? lorsque notre âme aura perdu le sentiment de la raison, notre langue, l’usage de la parole ? lorsque notre cœur en délire et soulevé, pour ainsi dire, contre Dieu lui-même, bien loin de se résigner, sera moins disposé à l’apaiser par ses prières qu’à l’irriter par ses plaintes ? Pleurer, voilà tout ce que nous pourrons faire dans notre infortune ; prier, nous ne saurons. Nous songerons bien plutôt à vous suivre sans retard qu’à pourvoir à votre sépulture ; nous serons bonnes à être enterrées nous-mêmes avec vous plutôt qu’à vous enterrer. En vous, nous aurons perdu notre vie ; sans vous, nous ne pourrons plus vivre. Ah ! puissions-nous même ne pas vivre jusque-là ! La seule pensée de votre mort est déjà pour nous une sorte de mort ; que sera-ce donc, si la réalité de cette mort nous trouve encore vivantes ? Non, Dieu ne permet Ira jamais que nous vous survivions pour vous rendre ce devoir, pour vous prêter cette assistance que nous attendons de vous comme un dernier service. C’est à nous, et fasse le ciel qu’il en soit ainsi, c’est à nous de vous précéder, non de vous suivre. Ménagez-nous donc, je vous en supplie, ménagez du moins celle pour qui vous êtes tout. Trêve de ces mots qui nous percent le cœur comme des glaives de mort et qui nous font une agonie plus douloureuse que la mort même.
III. Un cœur accablé par le chagrin ne saurait être calme, un esprit en proie à tous les troubles ne peut sincèrement s’occuper de Dieu. Je vous en conjure, ne nous empêchez pas de remplir les saints devoirs auxquels vous nous avez consacrées. Lorsqu’un coup est inévitable, et qu’il doit apporter avec lui une douleur immense, il faut souhaiter qu’il soit soudain, et ne pas anti-