Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/179

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sœur, qui est votre véritable époux et l’époux de toute l’Église ; ayez-le toujours devant les yeux, portez-le dans votre cœur. Voyez-le marchant au supplice pour vous et portant lui-même sa croix. Mêlez-vous à la foule, à ces femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur son sort, comme le raconte saint Luc : « Il était suivi par une grande foule de peuple et de femmes qui se frappaient la poitrine et qui se lamentaient sur son sort. » Et lui, se retournant vers elles avec bonté, il leur prédit le châtiment qui suivrait de près sa mort, et leur enseigna comment elles pourraient s’en garantir : « Filles de Jérusalem, disait-il, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ; car voici que le jour approche où l’on dira : heureuses les femmes stériles et les entrailles qui n’ont pas conçu et les mamelles qui n’ont pas allaité. Alors on dira aux montagnes : tombez sur nous, et aux collines : couvrez-nous ; car si le bois vert est traité de la sorte, que fera-t-on du bois sec ? »

Compatissez à Celui qui a souffert volontairement pour vous racheter, et, en songeant qu’il a été crucifié pour vous, que votre cœur se pénètre de douleur. Soyez toujours en esprit au pied de son tombeau ; pleurez et lamentez-vous avec les saintes femmes, dont il est écrit, comme je l’ai dit plus haut : « Les femmes assises au pied du tombeau se lamentaient, pleurant le Seigneur. » Préparez avec elles des parfums pour sa sépulture, mais des parfums plus exquis, des parfums spirituels et non matériels. Ce sont ceux-là qu’il réclame ; les autres lui sont inutiles. Pénétrez-vous de ces devoirs de toute la force de votre dévotion. C’est à ces sentiments de compassion profonde pour ses souffrances que le Seigneur lui-même exhorte les fidèles par la bouche de Jérémie. « Ô vous tous qui passez par ce chemin, dit il, considérez et voyez s’il est une douleur semblable à ma douleur ! » c’est-à-dire s’il est des souffrances dignes qu’on y compatisse et qu’on les pleure, quand moi j’expie, seul innocent des péchés du monde, les péchés que le monde a commis ? Or le Seigneur est le chemin par lequel les fidèles rentrent de l’exil dans la patrie. Cette croix même, du haut de laquelle il s’écrie, c’est lui qui l’a élevée pour nous comme une échelle de salut. Sur ce bois, le Fils unique de Dieu est mort pour nous, holocauste volontaire. C’est sur lui seul qu’il faut gémir et compatir, compatir et gémir. Accomplissez ce que le prophète Zacharie a prédit des âmes dévotes : « Elles se frapperont la poitrine en poussant des gémissements comme à la mort d’un fils unique, elles pleureront sur lui comme on pleure la mort d’un premier né. »

Voyez, ô ma sœur, quels gémissements éclatent parmi ceux qui aiment un roi à la mort de son fils unique, de son premier né. Considérez le désespoir de sa famille, l’affliction dans laquelle est abîmée la cour entière. Qu’est-ce donc, lorsqu’on arrive à l’épouse de ce fils unique ? Ses sanglots fendent le cœur, et l’on ne saurait les supporter. Tels doivent être vos gémissements, tels vos sanglots, ô ma sœur, vous qu’un bienheureux hymen