Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/229

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occupés à répandre la foi, c’est-à-dire la nourriture de l’âme, et les femmes qui veillent aux besoins du corps sont comparées à la chair et à la peau. Lors donc que les chairs du Seigneur ont été consumées, l’os du Christ s’est attaché à la peau, parce que les Apôtres, scandalisés dans sa passion et désespérés de sa mort, le dévouement des saintes femmes demeura inébranlable et ne quitta point l’os de Jésus-Christ ; parce qu’elles ont persévéré dans la foi, l’espérance et la charité, au point de ne l’abandonner, ni de corps ni d’âme, après sa mort. Naturellement les hommes sont, de corps et d’âme, plus forts que les femmes : d’où, avec raison, la chair qui est plus voisine des os figure la nature de l’homme, tandis que la peau représente la faiblesse de la femme.

D’un autre côté, les Apôtres, dont le devoir est, pour ainsi dire, de mordre les hommes en les reprenant de leurs fautes, sont appelés les dents du Seigneur. Mais il ne leur restait plus que les lèvres, c’est-à-dire des paroles plutôt que des actions ; car, tandis qu’ils désespéraient, ils parlaient de la mort de Jésus-Christ beaucoup plus qu’ils n’agissaient pour Jésus-Christ. Tels étaient assurément ces disciples qui allaient à Emmaüs, s’entretenant de tout ce qui était arrivé, et auxquels il apparut pour les blâmer de ce qu’ils désespéraient. Enfin, Pierre et les autres disciples eurent-ils autre chose que des paroles, quand vint le moment de la passion ? Bien que le Seigneur leur eût prédit lui-même que ce moment serait pour eux un sujet de scandale : « et quand tous seraient scandalisés à cause de vous, dit Pierre, moi je ne le serai jamais ; » et ailleurs : « quand je devrais mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Et tous les disciples dirent de même. » Oui, ils le dirent, mais ils ne le firent point. Lui, le premier, le plus grand des Apôtres, qui, en paroles, avait témoigné une telle fermeté qu’il avait dit au Seigneur : « je suis prêt à marcher avec vous en prison, à la mort ; » lui à qui le Seigneur avait alors particulièrement confié son Église, en lui disant : « à vous, enfin converti, d’affermir vos frères dans la foi, » sur un mot d’une servante, il ne craint pas de le renier. Et cela non pas une fois, mais trois, tandis qu’il vivait encore ; et tandis qu’il vivait encore, les autres disciples aussi s’enfuirent en un instant et se dispersèrent, au lieu que, même après sa mort, les femmes ne se séparèrent de lui ni de corps ni d’âme.

Parmi elles, cette bienheureuse pécheresse le cherchant après sa mort et le confessant pour son Dieu, dit : « Ils ont enlevé le Seigneur de son tombeau ; » et ailleurs : « Si vous l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis et je l’emporterai. » Les béliers, que dis-je ? les bergers mêmes du troupeau du Seigneur s’enfuient, les brebis demeurent, intrépides. Jésus-Christ reproche à ses Apôtres la faiblesse de la chair, parce que, à l’article de sa passion, ils n’ont pu veiller une heure avec lui ; les femmes, au contraire