Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/259

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l’Ancien Testament : que trouvons-nous qui puisse être rapproché de la fermeté de cette femme ? Le démon, après avoir épuisé toutes ses violentes tentations contre le saint homme Job, connaissant la faiblesse de la nature humaine aux approches de la mort, dit : « L’homme donnera la peau d’autrui pour conserver la sienne, et tout ce qu’il possède pour sauver sa vie. » En effet, l’horreur naturelle que nous inspirent les suprêmes angoisses de la mort est si vive, que souvent nous sacrifions un membre pour sauver l’autre, et qu’au prix de la vie il n’est pas de mal que nous appréhendions. Et cette mère a eu le courage de livrer non-seulement tout ce qu’elle avait, mais sa vie et celle de ses enfants, pour ne pas violer un point de la loi. Et quel point, je vous prie ? Voulait-on la contraindre de renoncer à Dieu, ou de sacrifier aux idoles ? Non ; il s’agissait de manger des viandes dont la loi interdisait l’usage. Ô mes frères, ô vous qui avez embrassé la vie monastique, vous qui, tous les jours, transgressant sans pudeur les statuts de la règle et les vœux de notre profession, aspirez après ces viandes qu’ils vous défendent, que direz-vous de la fermeté de cette femme ? Avez-vous si bien perdu toute vergogne qu’un tel exemple ne vous pénètre pas de confusion ? Sachez, mes frères, le reproche que le Seigneur fait aux incrédules en parlant de la reine du Midi : « La reine du Midi se lèvera, au jour du jugement, contre cette génération et la condamnera. » La fermeté de cette femme déposera contre vous d’autant plus haut, que ce qu’elle a fait est plus grand, et que les vœux qui vous enchaînent à la règle sont plus étroits. Aussi a-t-elle mérité que l’Église instituât une messe et des prières commémoratives en l’honneur de la lutte que son courage a soutenu : privilége qui n’a été accordé à aucun des saints antérieurs à la venue du Seigneur, bien que, suivant la même histoire, Éléazar, ce vénérable vieillard, un des premiers scribes de la loi, eût déjà, pour la même cause, obtenu les palmes du martyre. Mais nous l’avons dit : plus le sexe de la femme est faible, plus sa vertu est agréable à Dieu, plus elle est digne de récompense ; et le martyre du pontife, auquel aucune femme ne participa, n’a point obtenu les honneurs d’une fête spéciale, parce que l’on ne s’étonne pas que le sexe le plus fort ait à subir les plus fortes épreuves. Aussi l’Écriture dit-elle, se répandant en louanges sur cette femme : « Cependant cette mère admirable au-dessus de toute mesure, et digne de l’éternel souvenir des fidèles, cette mère, qui vit périr ses sept fils en un même jour, supportait leur mort avec calme, à cause de l’espérance qu’elle avait en Dieu ; elle les encourageait virilement les uns après les autres, remplie de l’esprit de la sagesse et alliant à la tendresse de la femme un mâle courage. »

La fille de Jephté ne suffirait-elle pas seule à l’honneur des vierges, elle qui, pour que son père ne fût pas coupable d’avoir manqué a un vœu même irréfléchi, pour que la victime promise acquittât le don de la grâce divine, l’excita elle-même, après la victoire, à lui percer le sein ? Qu’aurait-elle donc fait dans l’arène du martyre, si les infidèles avaient voulu la contrain-